Méditations de Ibn al-Jawziy

Méditations de Ibn al-Jawziy

 

Les méditations de Ibn Al-Jawziy

 

Par l’imam Ibn al Jawziy

 

 

 

Attachez-vous à la piété en toute occasion


Sache que le temps n’est pas immuable. Allah a dit:

« Et ces jours, nous les faisons alterner parmi les hommes »
Qur'an III, 134.

Tantôt pauvreté, tantôt richesse. Humiliation un jour, puissance un autre. Victoire des amis une fois, satisfaction des ennemis une autre fois. L’homme heureux est celui qui, en toute circonstance, reste fidèle à un seul principe: la piété.

S’il est riche, celle-ci lui servira de parure, s’il est pauvre elle lui ouvrira les portes de la constance. S’il a déjà reçu la santé, elle complètera son bonheur, mais si une épreuve le frappe, elle lui permettra de se conduire dignement.

Que les vicissitudes du temps le fasse monter ou descendre, qu’elles le mettent à nu, l’affament ou le rassasient, rien ne le gêne car tout cela passe ou cesse mais la piété veille, fondement du salut, qui le protège, le retient par la main quand il trébuche, le maintient dans les limites de la Loi.

Le malheureux est celui qu’un plaisir, obtenu dans la non-piété, séduit et laisse ensuite égaré et vaincu.

Attachez-vous donc à la piété en toute occasion, vous ne trouverez que largesse dans l’embarras et, dans la maladie, que santé.

Voilà ce que l'on peut en dire pour cette vie immédiate. Pour ce qui est de l'au-delà, tout a été dit.
 
 
De l'aveuglement des pécheurs

Je réfléchis à cette parole de Dieu :

« Ils te rappellent comme un bienfait de s’être convertis à l’Islam. Dis-leur ne rappelez point comme un bienfait votre conversion à l'Islam C’est, tout au contraire, Allah qui vous a accordé un bienfait en vous dirigeant vers la foi. »
Qur'an, XL, 17.

J'y trouvai un sens admirable.

C’est que les hommes, ayant reçu en don l’intelligence, ont pu grâce à elle comprendre l’erreur que constituait l'adoration des idoles. Ils ont bien vu que celles-ci n’étaient pas dignes d’être adorées et ont tourné leur dévotion vers Celui qui a créé toute chose. Cette découverte était le fruit de l’esprit qui leur avait été donné et par lequel ils se différenciaient des animaux. Mais, lorsqu’ils ont commencé à tirer assurance de l’action à laquelle l’intelligence qu’ils avaient reçue en don les poussait, ils ont oublié le destin de celui qui reçoit et ont négligé Celui qui donne. Mais à quel fruit ont-ils donc droit quand l’arbre ne leur appartient pas ?

Ainsi, tout homme voué au culte d'Allah et appliqué la science ne voit la vérité que grâce à la lumière de la conscience, à la force de l’intelligence et de la raison et, quand il atteint son but il lui faut adresser un remerciement à Celui qui, dans les ténèbres de la nature, lui a envoyé une lueur!

Prenez, par exemple, dans le hadith, les trois hommes qui avaient pénétré dans la caverne et sur lesquels roulèrent un rocher qui en obstrua l’ouverture. Ils dirent « Allons! Faisons intercéder nos bonnes actions ! » Et chacun de dire : « J’ai fait ceci, j’ai fait cela. » Si, tenant compte de la faveur que le Dispensateur accorde aux actes purs de toute faute, ceux-là avaient fait intervenir la grâce qu’Il leur accordait en les distinguant parmi leurs semblables, ils auraient pu de cette manière intercéder auprès de Lui. Mais si ce sont leurs actes grâce auxquels ils espéraient une récompense qu’ils ont pris en compte, s’imaginant par là qu’ils en étaient, eux, les auteurs, alors ce sont des êtres inconscients et non lucides.

La réponse à leur prière a été qu’ils se sont vus interdire les grâces éternelles!

De même ordre est la vanité que l’homme pieux tire de sa piété, allant jusqu’à s’imaginer qu’il est, par elle, supérieur à beaucoup d’autres. Peut-être même méprise-t-il les pécheurs et les juge-t-il de haut. C’est, dans l’exercice de la vie spirituelle une inconscience qui peut conduire son auteur hors de la bonne voie. Non que je vous invite à vous mêler aux pécheurs, par mépris pour vos âmes ! Soyez donc, dans votre for intérieur, courroucés contre ces gens et, à l’extérieur, détournez-vous d’eux. Puis regardez comment le destin les écrase.

La plupart ignorent à qui ils désobéissent.

Mais, en fait, ils ne cherchent pas à Lui désobéir. Ils désirent seulement satisfaire leur passion qui les voit désobéir avec plaisir.

Il y en a qui sont convaincus de la perspective du pardon et de l’indulgence, aussi se désintéressent-ils de ce qui arrive tant ils ont la certitude d’être pardonnés.


Le véritable croyant ne tombe pas dans les fautes extrêmes

Le véritable croyant ne tombe pas dans les fautes extrêmes, il n’y a que lorsque la passion s’allume et que les feux du désir le brûlent qu’il se laisse entraîner. Il y a dans sa foi quelque chose qui lui fait trouver le péché haïssable. Aussi n’est-ce pas de plein gré qu’il décide de s’y adonner ou d’y retourner après lui avoir échappé.

Lorsqu’il est furieux, il ne va pas jusqu’à des solutions extrêmes il pense au repentir avant la faute.

Examinez le cas des frères de Joseph. Ils avaient pris la décision de se repentir avant même d’éloigner Joseph. Ils dirent : « Tuez Joseph ! » Puis celui-là ajouta, car il trouvait cet acte très grave « Ou bien chassez-le de la terre! » Et, tout de suite, ils décidèrent de se repentir. Ils dirent :

« Et vous serez après des gens qui feront le bien. »
Qur'an, XII, 9.

Lorsqu’ils l’eurent emmené dans le désert, ils pensèrent le tuer pour obéir à la jalousie qu’ils avaient dans le coeur. L’aîné dit :

« Ne tuez pas Joseph, mais jetez-le au fond du puits. »
Qur'an XII, 10.

Mais Allah n’a pas voulu qu’il meure et des voyageurs qui passaient par là le tirèrent du puits.

Ainsi ont-ils obéi la volonté d'Allah.

Ces différentes circonstances s’expliquent par le fait que la foi remporte sur les âmes une victoire qui dépend de la force qu’elle trouve en elle-même. Parfois, elle est assez forte pour convertir la passion en simple intention.

D’autres fois, affaiblie, elle la laisse aller jusqu’à la décision funeste ou jusqu’à une partie de l’acte.

Mais que la négligence l’emporte et le naturel se relâche, la faute survient. Et quand la foi se décide à agir, elle perd dans le repentir deux fois plus d’énergie qu’on n’en a dépensée dans le plaisir.

 
Ah! Si je pouvais atteindre l’âge de Nouh!

J’invoquai Allah, un jour. « O Allah, m’écriai-je, puisses-tu me faire réaliser mes espérances dans la science et les œuvres ! Puisses-tu me donner, longue vie pour me permettre d’atteindre mon but en ces domaines ! »

Mais une pensée insinuée par Iblis s’infiltra en moi.

— Et ensuite, quoi ? N’est-ce pas la mort ? A quoi sert une longue vie ?

— Sot! lui répondis-je, si tu avais compris le fond de ma prière tu saurais qu’elle n’est pas vaine. Ma science et ma connaissance d'Allah n’augmentent-elles pas tous les jours ? Ainsi les fruits que je sème se multiplient et je recevrai récompense le jour de la moisson. Devrais-je me réjouir à la pensée que j’aurais pu mourir il y a vingt ans ? Non, par Allah ! Car ma connaissance d'Allah n’aurait pas été alors le dixième de ce qu’elle est aujourd’hui!

Tout cela est le fruit de la vie qui m’a permis de cueillir les preuves de l’Unicité, de m’élever des plaines de l’imitation servile jusqu’aux hauteurs de la clairvoyance. J’ai pu ainsi découvrir des sciences grâce auxquelles ma part s’est accrue et mon âme affinée.

En outre, j’ai pu semer davantage, en prévision de l’au-delà et mon pouvoir d’achat s’est trouvé renforcé par la rédemption des meilleurs parmi les hommes qui recherchent la science (...).

Ah! Si je pouvais atteindre l’âge de Nouh ! La science est vaste et chaque fois qu’on en acquiert une part, celle-ci nous élève et nous sert.


Condamnation de la passion

J’ai réfléchi à ce que les savants ont dit à propos de l’amour, de ses causes et de ses remèdes, puis j’ai composé sur ce sujet un ouvrage que j’ai intitulé « Condamnation de la passion »

J’ai rapporté que les médecins disaient ceci « La cause de l’amour réside dans le mouvement d’une âme vide ». Mais ils ne sont pas tous du même avis.

Certains prétendent que l’amour ne peut survenir que chez les personnes les plus raffinées, et d’autres, au contraire, disent : « Uniquement chez celles qui n’ont pas le souci des vérités profondes ». Toutefois, par la suite, il m’est venu une idée subtile que j’expose ici.

L’amour ne peut prendre possession que d’un être stupide et borné, tandis que les hommes qui ont des aspirations élevées découvrent les imperfections de l’amour, chaque fois qu’ils se représentent ce qu’il implique soit en réfléchissant à l’être aimé, soit en ayant commerce avec lui. Leurs âmes se consolent alors en s’attachant à un autre objet. Mais, conserver sa passion à un degré tel qu’elle reste fidèle à la première impression, qu’elle soit aveugle aux défauts de l’être aimé, ce ne peut-être que le fait d’un être stupide et borné!

Quant aux êtres délicats qui ont de la pudeur et des scrupules ils sont constamment en ascension. Rien ne les freine, et lorsque leur nature éprouve de l’amour pour un individu, ils ne vont pas jusqu’au degré de la passion exclusive. Certes, il arrive qu’ils subissent une forte attirance, soit parce qu’ils n’ont pas encore eu le temps de réfléchir et qu’ils n’ont pas eu suffisamment de contacts et d’occasions de découvrir les défauts de l’autre, soit que, sous l’effet d’une concordance fortuite entre ces deux êtres de vertus identiques, comme cela se produit dans le cas de personnes raffinées et délicates, une sympathie les unisse.

Mais, pour ce qui est de l’amour, non! Ils sont toujours en mouvement. Mieux, ils freinent. les chameaux de la nature animale en suivant la raison-guide.

Leurs aspirations tendent vers un objet qu’elles ne trouvent pas en ce monde, car ces hommes désirent une perfection qui n’existe pas chez les êtres humains et lorsqu’ils découvrent les imperfections de ces derniers ils fuient.

Cette aspiration des cœurs à l’amour du Créateur leur interdit d’en aimer un autre que Lui, même s’il s’agit d’un sentiment qui n'est pas de même nature que celui les créatures Les nommes qui ont trouvé la connaissance en sont si absorbés qu’ils ne peuvent éprouver d’autre amour.

La nature de ces êtres est dévorée par l’intensité de la connaissance et de l’amour qu’ils portent dans leur cœur.

On raconte qu’un derviche passa à côté d’une femme qu’il trouva belle. Il alla la demander en mariage à son père qui la lui accorda, le conduisit chez lui et lui fit enlever ses haillons pour l’habiller d’autres vêtements. Or, pendant la nuit, le derviche se mit à crier : « Mes vêtements ! Mes vêtements ! J’ai perdu tout ce que j’aimais ! » Cet ascète avait fait un faux-pas qui lui a révélé qu’il s’écartait de la bonne voie.

De tels états ne surviennent que chez des êtres qui savourent la connaissance d'Allah et ont de la répugnance pour les vulgarités de l’existence.

Ibn Mas’ ûd -qu’Allah l’agrée- a dit : «. Si l’un de vous est tenté par une femme, qu’il se souvienne de sa vessie ! »

Cela montre qu’au moment où l’on trouve agréable de prendre la nourriture désirée, la raison ne réfléchit pas à la boule qui tourne dans la bouche et, que l’on avale. Et, de la même manière, elle ne pense plus, à l’instant du coït, au contact entre elles de parties tant est dominante la force du désir, ou bien elle oublie, au moment où elle suce la salive de l’amant, qu’elle la détourne des aliments. A voiler ces choses, il y a des avantages, mais les esprits éveillés les sentent, généralement, sans le vouloir. Cela trouble en eux le plaisir de l’existence et provoque une répugnance pour l’obscénité de la passion.

Plus l’esprit est apte à réfléchir aux effets de l’amour, plus celui-ci se fait léger au cœur de l’amoureux. Au contraire, plus l’esprit est pétrifié, plus grand est le trouble de l’amour. Al-Mutanabbî a dit:

Si l’amoureux réfléchissait à la fin de la beauté qui le séduit,
elle ne pourrait le conquérir !

Ce que j’ai voulu montrer c’est que la nature des hommes ardents s’élève. Elle ne se borne pas à un être beau. Elle s’élève parce qu’elle constate ses défauts ou parce qu’elle aspire à quelque chose de plus digne. Le cœur des êtres qui savourent la connaissance se hisse jusqu’à Celui qu’ils ont découvert et navigue sur le vaisseau de l’estime.

Quant aux insouciants, leur inertie se retrouve dans les deux états et leur indifférence est la même dans les deux cas. Elles provoquent leur paralysie, leur esclavage et leur désarroi.

 quelqu’un qui désirait s’instruire, j’expliquai quelques points singuliers de la science, certaines manifestations saisissantes du pouvoir divin mais, remarquant qu’il se laissait distraire de ce que je disais, qu’il n’essayait pas d’en pénétrer la profondeur, qu’il n’était pas curieux de connaître la suite, je n’eus pas envie d’aller plus loin et déclarai : « Ces choses sont faites pour des êtres sensibles qui les accueillent avec ce même désir que l’homme brûlé par la soif a pour l’eau. »

Par la suite, je tirai un enseignement de cette situation, car si cette personne avait compris ce que je lui avais dit, si elle m’avait loué pour ce que j’avais fait, je l’aurais appréciée, et lui aurais montré toutes les qualités de mes travaux et de mes propos. Mais comme je ne l’en ai pas jugée digne, je les lui ai tues et ne me suis plus occupé d’elle.

Voici en quoi consiste la leçon que j’ai urée de cette situation. Dieu a composé toutes ses créations : Il leur a donné une excellente constitution et un équilibre parfait, puis Il les a offertes à la conscience des hommes. Tous ceux qui y ont appliqué leur réflexion, ont reçu louange à la mesure de leur inteffigence et le Créateur les a aimés.

De la même manière, Il a révélé le Coran qui renferme les merveilles de Son pouvoir : quiconque en tourne les pages d’une main intelligente et s’entretient avec lui dans la solitude de sa pensée, s’attire la satisfaction de Celui qui l’a révélé par la Parole et se trouve gratifié d’une place proche de Lui.

Mais celui dont l’esprit reste étouffé par les impressions sensibles est exclu d’un tel honneur. Dieu a dit :

« Je détournerai de Mes signes ceux qui, sur la terre, se glorifieront grâce à la non-vérité ! »
Qur’an, VII, 146.


Les organes de sens

Je lus ce verset :

« Dis-leur : Que vous en semble? Si Allah vous arrache l’ouïe et les yeux et qu’Il scelle vos coeurs, quelle divinité autre que Lui vous les rendra? »
Qur'an, VI, 46.

Une idée me vient qui faillit me faire perdre la tête. En effet s’Il a voulu parler, dans ce verset, de l’ouïe et de la vue proprement dites, l’ouïe étant le sens qui permet de percevoir les sons et la vue celui qui permet de percevoir les images et l’un et l’autre présentant leurs perceptions au cœur qui en fait l’objet de son examen et réagit en conséquence, si donc, lorsque le monde créé s’offre à la vue et à l’ouïe, ces deux dernières transmettent au cœur les informations recueillies comme prouvant le Créateur, invitant à Lui obéir et mettant en garde l’homme qui s’oppose à Lui contre Sa violence, nous vérifions bien là l’utilité de ces sens. Sinon, nous ne voyons pas à quoi ils pourraient bien servir!

Mais, si Allah a voulu parler du concept même d’ouïe de vue il faut comprendre verset comme la menace d'empêcher les organes de comprendre la réalité profonde de ce qu’ils perçoivent, occupés qu’ils seront par la passion. L’homme est alors puni par la suppression des concepts représentés par ces organes : dès lors il voit mais tout se passe comme s’il n’avait pas vu, il entend, mais tout se passe comme s’il n’avait pas entendu, et le cœur reste indifférent à tout ce qui peut contribuer à l’élever.

L’être humain en arrive à pécher contre lui-même, ignorant ce qu’on attend de lui, n’ayant pas conscience qu’il est mis à l’épreuve. Aucune exhortation, à lui adressée, ne sert, il ne sait où il est, ce qu’on lui veut, où on le conduit. Il constate seulement par un effet naturel les intérêts de sa vie fugitive sans réfléchir à l’échec de sa vie éternelle. Il ne tient pas compte de son compagnon, il n’écoute pas les conseils de son ami et ne prend pas de viatique pour sa route.

Le poète l’a dit:

Les hommes dorment,
la mort les tire du sommeil !
Leur vie cesse-t-elle ?
Ils se réveillent !

Ils accompagnent leurs amis jusqu’à leur dernier séjour ils regardent la tombe dans laquelle on les a enterrés.

Puis, aux rêves de leur inconscience ils font retour comme s’ils n’avaient rien vu ou pas regardé!

Ainsi sont les hommes! J’implore Allah de ne pas me priver de mes organes (des sens). Ce serait la plus funeste des conditions.
 


Souvent la tolérance vaut mieux que toutes les intransigeances

Les individus diffèrent par leur nature physique. Ainsi l’un se trouvera bien d’une vie fruste qui ne conviendra pas à l’autre, et nul ne doit imposer à autrui le genre de vie qu’il supporte. Nous disposons cependant d’une règle générale, qui est la loi religieuse, et dans laquelle nous trouvons tolérance et fermeté. Quiconque se maintient dans les limites fixées par cette règle ne saurait être blâmé.

Et souvent la tolérance vaut mieux que toutes les intransigeances, parce qu’elle est plus efficace... La mansuétude pour les corps est nécessaire, si l’on veut préserver la force de la monture.

Les instruments de la science et de la préservation du corps sont le cœur et l’esprit. On sait qu’avec un instrument bien entretenu le travail se fait bien. Voilà une chose que l’on ne peut découvrir que par la science!

C’est à cause de leur ignorance que les ascètes ont méprisé ce qu’ils ne connaissaient pas, qu’ils ont cru que le but était d’épuiser les montures et qu’ils n’ont pas compris que la peur qui consume doit avoir en contrepartie des moments de distractions.

Ainsi qu’on a pu le dire « Détendez-vous donc, votre prière en sera meilleure! »

 
Entretenir son corps, c’est entretenir sa foi. La science est un remède contre tous les maux

Lorsque mon âme est sereine, lorsqu’elle a été exhortée par un maître ou qu’elle a visité les tombeaux des saints, son aspiration la porte à rechercher la solitude et les échanges avec Allah.

Je lui dis, un jour qu’elle m’avait entretenu de ses désirs : « Dis-moi, quel est ton but? Où veux-tu nous mener ? Tu attends peut-être de moi que j’aille vivre seul, dans un désert, où je manquerais la prière en communauté, où tout ce que j’ai appris ne me servirait à rien, puisque j’aurais perdu ceux à qui je pourrais l’enseigner?

Tu veux peut-être que je mange une nourriture grossière à laquelle je ne suis pas accoutumé, de sorte que mon corps amaigri tombe d’épuisement au bout de deux jours, que je m’habille de ce tissu rugueux qui m’est intolérable, en sorte que je ne sache plus qui je suis, tant ce que je porte est triste?

Devrais-je aussi, bien que j’en sois encore capable, ne plus espérer avoir des enfants qui adoreront Allah après moi? Par Allah, la science, à laquelle j’ai consacré mon existence, ne me servirait à rien si je t’écoutais! Et pourtant c’est grâce à elle que je suis en train de t’expliquer l’erreur que tu commets.

Sache donc que le corps est une monture et que si son cavalier n’est pas bon pour elle, elle ne pourra le reconduire chez lui.

Mais par bonté je n’entends pas qu’il faille accéder systématiquement à tous ses désirs. Je veux parler de la quantité nécessaire à la santé du corps. Alors l’esprit est serein, la raison saine et l’intelligence puissante.

Ne vois-tu pas l’influence des nécessités sur la sérénité de l’esprit dans cette parole du Prophète (saluts et bénédictions d’Allah sur lui) : « Le juge ne doit pas trancher entre deux hommes alors qu’il est en colère. »

Les savants en ont tiré des conclusions identiques pour la faim et tout ce qui a la même influence, comme l’envie d’uriner ou d’aller à la selle.

La nature physique n’est-elle pas autre chose qu’un chien auquel l’homme qui va dîner donne un os à ronger pour l’occuper pendant qu’il mange tranquillement?

Quant à la retraite et à l’isolement ce doit être par rapport au mal non au bien. S’il s’y était trouvé un avantage dont tu aurais pu bénéficier, on aurait rapporté que le Prophète (saluts et bénédictions d’Allah sur lui) et ses compagnons s’y étaient adonnés. Mais non!

Tu sais que des gens ont vécu si longtemps dans l’abstinence et la privation que leur esprit en a été dérangé et que l’humeur noire les a envahis. Ils ont eu la phobie des hommes et certains ont vu s’amasser en eux des humeurs malignes produites par des aliments malsains. Ils sont restés un, deux, trois jours sans manger, croyant que cela provenait d’un surcroît de grâce, alors que c’était dû à une mauvaise digestion. L’humeur noire alla, chez certains, jusqu’à leur faire prendre pour des Anges les formes indistinctes qu’ils voyaient!

Par Allah, Allah est dans la science! Allah est dans la raison! La lumière de la raison, il ne faut pas s’aventurer à l’éteindre! Et la science, il n’est pas bon de vouloir la limiter!

Si elles sont, l’une et l’autre, préservées, elles nous permettent de nous conformer aux conditions qui nous sont imposées, de rejeter tout ce qui peut nuire et d’accepter tout ce qui peut servir. Les règles de conduite pour la nourriture, la boisson, les relations sont alors fermes. »

Mon âme me dit alors :

— Assigne-moi donc un régime quotidien et considère-moi comme un malade auquel on a prescrit une médecine !

— Je t’ai guidée vers la science, lui répondis-je, c’est un médecin consciencieux. Il analyse chaque cas et à chaque mal il oppose un remède approprié.

Bref, il faut que tu te consacres à une piété totale, par la parole, le regard et par tous tes membres, que tu sois sûre de la licéité de ta nourriture, que tu accordes à chaque instant le bien qui lui revient, que tu disputes la perfection au sort et que tu évites le manque à gagner ou l’échec.

N’agis qu’après avoir défini ton intention.

Prépare-toi au trouble de la mort, quel qu’en soit le moment, comme s’il y avait déjà en toi un signe de sa venue.

Ne prends pas à la légère ce qui peut être salutaire au corps, au contraire, accorde-le lui généreusement, procure-le lui selon la règle du bon sens et non en obéissant à la passion. Entretenir son corps, c’est entretenir sa foi.

Ne tiens pas compte de la sottise de ces propos tenus par l’âme et inspirés davantage par l’ignorance que par la science « Un tel mange des légumes avec du vinaigre, un tel ne dort pas la nuit. »

Fais ce que tu peux supporter et dont tu sais ton corps capable. Si tu vois qu’il y a en lui la force de sauter, saute, mais si tu vois que tu ne pourrais y parvenir, ne saute pas, même si l’on doit te tuer. Tous les corps n’ont pas la même capacité d’action. Certains hommes, du fait des combats qu’ils ont dû livrer dans leurs débuts, ont été amenés à endurer des maladies qui les ont empêchés de se livrer au bien, et leur cœur les ont vues apparaître avec fureur.

Attache-toi à la science c’est un remède contre tous les maux.

 
De la confiance en Allah

J’ai dû, en une circonstance donnée, chercher refuge en Allah de tout mon cœur, sachant que Lui Seul pouvait m’être utile et chasser le mal qui me frappait. Mais par la suite, j’entrepris de passer en revue les mesures que j’aurais dû prendre.

Alors la certitude qui est en moi me désapprouva. « C’est une atteinte, me dit-elle, à la confiance aveugle que l’on doit avoir en Allah! »

Il ne s’agit pas de cela, répondis-je, car Allah a rangé les mesures de prévoyance parmi les actes de sagesse, et l’état dans lequel je me trouvais signifiait que ce que j’avais fait était inutile et se révélait sans effet.

Elles existent bien pourtant, ces précautions, dans la Loi révélée, comme dans cette parole d’Allah :

« Et lorsque tu (Muhammad) te trouves parmi eux, et que tu les diriges dans la Salat, qu'un groupe d'entre eux se mette debout en ta compagnie, en gardant leurs armes. Puis lorsqu'ils ont terminé la prosternation, qu'ils passent derrière vous et que vienne l'autre groupe, ceux qui n'ont pas encore célébré la Salat. A ceux-ci alors d'accomplir la Salat avec toi, prenant leurs précautions et leurs armes. Les mécréants aimeraient vous voir négliger vos armes et vos bagages, afin de tomber sur vous en une seule masse. Vous ne commettez aucun péché si, incommodés par la pluie ou malades, vous déposez vos armes; cependant prenez garde. Certes, Allah a préparé pour les mécréants un châtiment avilissant. »
Qur’an IV, 102

Et :

« Alors [Joseph dit]: ‹Vous sèmerez pendant sept années consécutives. Tout ce que vous aurez moissonné, laissez-le en épi, sauf le peu que vous consommerez. »
Qur’an XII, verset 47.

Et le Prophète (saluts et bénédictions d’Allah sur lui) endossa deux cuirasses, l’une sur l’autre, consulta deux médecins et lorsqu’il arriva à Ta’if il envoya chercher al-Mut’im bin ‘Adî pour pouvoir entrer dans la Mecque sans danger « J’entrerai sous ta protection », lui dit-il. Alors qu’il aurait pu entrer sans prendre de précaution, en s’abandonnant à la volonté d’Allah.

Puisque la Loi révélée fait dépendre les choses des mesures que l’on prend pour les atteindre, me détourner de celles-ci serait une atteinte à la sagesse.

C’est pourquoi, je suis d’avis qu’il est bon de se soigner.

Le fondateur de l’école juridique à laquelle j’appartiens a exprimé l’opinion qu’il vaut mieux ne pas utiliser de remède et pourtant, il y a une indication qui m’interdit de le suivre dans cette voie. Car un hadith authentique rapporte que le Prophète (saluts et bénédictions d’Allah sur lui) a dit « Allah n’a pas créé une maladie sans qu’Il n’ait aussi crée son remède. Et ils se soignèrent. »

Cette parole est à prendre comme un ordre, et l’ordre est, ou bien impératif, ou bien indicatif, et aucune restriction ne vient le limiter de sorte que l’on puisse dire « C’est une simple invitation à la tolérance.»

‘Aïcha (qu’Allah l’agrée) disait : « J’ai appris la médecine lors des nombreuses maladies du Prophète (saluts et bénédictions d’Allah sur lui) et grâce à tout ce qu’on lui a prescrit. » Le Prophète (saluts et bénédictions d’Allah sur lui) a dit à ‘Alî (qu’Allah l’agrée) : « Mange ceci qui te fera plus de bien que cela. »

Quiconque partage l’opinion qu’il est préférable de s’abstenir de soins prend à tort prétexte de la parole du Prophète (saluts et bénédictions d’Allah sur lui) : « Soixante et dix mille entreront sans réserve au paradis. » Puis il les a décrits ainsi : « Ils ne se font pas de cautères, n’ont pas recours aux charmes ni aux augures et à leur Seigneur ils s’abandonnent. »

Mais cela ne contredit pas l’utilisation des remèdes, car certaines personnes utilisaient les cautères pour ne pas être malades, et les charmes pour ne pas être frappés par un mal. Le Prophète (saluts et bénédictions d’Allah sur lui) a lui-même cautérisé Sa’d b. Zurâra (qu’Allah l’agrée) et a admis l’incantation propitiatoire dans un hadith authentique.
Nous savons que c’était dans l’intention que nous avons montrée.

Quand j’ai besoin de prendre une purge, je constate que mon savoir m interdit de manger des glands, mais que l’absorption du jus de datte est plus efficace chez moi c’est un remède. Si je ne prends pas ce qui me convient et que je dise ensuite « O Allah guéris-moi! », la sagesse répondra « N’as-tu pas entendu dire Attache-la d’abord et fais Lui confiance ensuite? Prends le remède et dis Lui Guéris-moi.»

Ne sois pas comme cet homme dont le champ est séparé du fleuve par une paume de terre et qui, ayant la paresse d’y puiser l’eau de ses mains, fait la prière des rogations.

Ce cas est tout à fait semblable à celui de l’homme qui entreprend un voyage d’épreuve uniquement pour savoir si Allah lui procurera subsistance ou non. Et pourtant il a reçu cet ordre, « Prenez un viatique! » Mais il dit « Je ne prendrai pas de viatique ! »


L'âme est incitatrice au mal

J’ai constaté que le penchant de l’âme pour les plaisirs sensuels est si fort que lorsqu’elle subit une attirance pour une chose elle s’y abandonne par le cœur, la raison et l’esprit. L’homme est alors pratiquement incapable de tirer profit d’aucun conseil.

Un jour que mon âme se laissait ainsi totalement entraîner vers Un plaisir, je lui criais:

- Malheur à toi ! Arrête un instant que je te dise quelques mots, puis fais ce que bon te semble.

- Parle, dit-elle, j’écoute!

- Il est bien clair que tu n’as pas beaucoup de penchant pour les plaisirs autorisés. C’est vers ceux qui sont interdits que tu vas généralement. Je vais tout t’expliquer, peut-être verras-tu que les douceurs sont amères.

Pour ce qui est des premiers, tu peux en profiter librement, mais il est difficile d’en jouir, car ils content cher et tu n’auras peut-être pas toujours les moyens de te les procurer. D’autre part, tes revenus ne seront peut-être pas suffisants pour te les faire tous goûter. Tu perdras ainsi un temps précieux. Ton cœur enfin en sera absorbé pendant ta quête, il le sera tout autant une fois que tu les auras atteints et il le sera encore plus alors car tu craindras de les voir fuir. De plus ces plaisirs seront gâchés par la constatation de leur insuffisance qui n’échappera pas à un observateur averti. Ainsi, lorsqu’il s’agit de nourriture, la satiété finit par engendrer des troubles. S’il s’agit d’un être humain, c’est la lassitude, la séparation ou le mauvais caractère! Enfin les rapports charnels les plus agréables affaiblissent généralement le corps. Il y a d’autres exemples qu’il serait trop long de rapporter.

Pour ce qui est des plaisirs illicites, ils présentent les mêmes inconvénients que ceux que j’ai indiqués pour les précédents, mais ils sont plus graves parce qu’ils sont néfastes pour l’honneur et constituent l’objet même du châtiment de ce monde et sa honte. De plus, il y a la menace de l’au-delà et l’angoisse que ce dernier fait naître chaque fois que, repentant, on s‘en souvient.

Dans la force que l’on trouve à vaincre la passion il y a un plaisir qui surpasse tout plaisir. Ne vois-tu donc pas, mon âme, combien est humilié celui qui est dominé par la passion? Car il a été vaincu! Au contraire, celui qui triomphe d’elle a le cœur fort et noble car c’est lui qui a vaincu.

Prends garde, prends garde de regarder l’objet de ta concupiscence d’un oei1 favorable, comme le voleur qui voit le plaisir de prendre l’argent dans la cachette mais ne prévoit pas l’amputation.

Que l’œil de ta clairvoyance s ‘ouvre pour examiner les conséquences, pour voir comment le plaisir devient déception, comment son caractère de plaisir se dégrade sous l’effet soit de la lassitude, soit d’un autre mal, soit encore parce que le refus de l’aimé y a mis fin. Le premier péché est comme la bouchée que mange un homme à jeun : ce n’est pas elle qui apaisera sa faim. Elle excitera plutôt son appétit.

Que l’homme se souvienne donc du plaisir de vaincre la passion et considère en même temps les avantages qu’il y a à lui résister !

Quiconque y réussit à son salut a proximité.
 
 
Les passions

Dans l’œil de ma pensée j‘ai examine la terre et ses habitants et j’ai pu voir que les régions désertes y sont plus nombreuses que les parties habitées.

J’ai ensuite observé ces dernières et j’ai constaté que les infidèles en occupent la plus grande partie et que les musulmans sont moins nombreux sur la terre que les autres.

Enfin, en examinant ceux-ci j’ai remarqué que le lucre en avait détourné la plupart du Dispensateur et les avait distraits de la science qui prouve Son existence.

Ainsi le sultan est-il occupé par l’exercice du pouvoir et les plaisirs qui se présentent à lui : l’eau de ses désirs coule sans que l’on puisse l’endiguer. Personne n’ose lui adresser d’admonestation, on le couvre plutôt de compliments, ce qui fortifie en lui la passion de l’âme. C’est pourtant en leur opposant leurs contraires qu’on lutte contre les maladies. C’est ainsi que ‘Umar b.’Abd al¬‘Aziz (qu’Allah lui fasse miséricorde) a dit : « Lorsque tu me verras m’écarter d’Allah, attrape mes vêtements, secoue-moi et crie-moi qu’as-tu ‘Umar ? » ‘Umar b. al-Khattâb (qu’Allah l’agrée) a dit : « Qu’Allah fasse miséricorde à quiconque nous révèle nos défauts. »

Et la créature qui a le plus besoin de conseils et d’admonestations est le sultan.

Ses soldats? La plupart d’entre eux baignent dans l’ivresse de la passion et les réjouissances de ce monde, à quoi viennent s’ajouter la stupidité et l’ignorance. Aucune faute ne les fait souffrir et ils ne sont pas gênés de se vêtir de soie ou de boire des boissons spiritueuses, au point que certains ont pu aller jusqu’à dire : « Quoi? Un soldat s’habillerait de coton? » En fait, ils prennent tout à l’envers, car l’injustice est en eux comme une seconde nature!

Les nomades? Ils ont été envahis par l’ignorance. De même les villageois. Ils passent leur temps à se rouler dans les impuretés et ne tiennent pas compte de l’importance des prières! La femme chez eux, les fait même, parfois, assise.

J’ai ensuite observe les commerçants et j’ai pu constater que l’avidité les possédait au point qu’ils n’ont en vue que les différents moyens de gagner de l’argent. L’usure, dans leurs transactions, est devenue courante et aucun d’eux ne cherche à savoir d’ou lui viennent ces richesses matérielles. Sur le chapitre de l’aumône légale ils sont tout à fait négligents et ne trouvent pas honteux de ne pas la faire, sauf ceux qui tiennent à ménager Allah.

Puis, j’ai observé les gens qui reçoivent une pension et j’ai note que la supercherie régnait dans leurs transactions de même que la fraude sur la quantité et la qualité. En outre, ils sont plongés dans l’ignorance. J’en ai vu beaucoup qui exerçaient leurs fils à ces pratiques dans le but de réaliser des profits supplémentaires avant même que ces enfants aient reçu une éducation et qu’ils connaissent leurs devoirs.

Enfin, j’ai considéré le cas des femmes et j’ai pu constater qu’elles avaient peu de religion et beaucoup d’ignorance. Elles n’ont sur l’au-delà aucune information sauf celles qu’Allah a préservées.

Alors, je me suis écrié : « Ô ! Malheur! Qui reste-t-il donc pour servir Allah et Le connaître? »

J’ai cherché. Seraient-ce donc les savants et ceux qui aspirent au savoir, les dévots et ceux qui se vouent au renoncement? Mais en observant ces derniers, j’ai remarqué que, dans leur grande majorité, ils se consacrent à la dévotion sans connaissance, qu’il leur plait d’être adulés, de se faire baiser la main et qu’ils sont heureux d’avoir de nombreux disciples, si bien que, lorsque l’un d’eux a besoin d’acheter quelque chose au marché, il s’en abstient pour que sa réputation n’en soit pas brisée. De même, ils ont tellement soin de leur prestige qu’ils ne visitent pas un malade, n’assistent à aucune cérémonie funèbre, sauf lorsqu’il s’agit de quelqu’un pour lequel ils ont une grande estime. Ils ne se font pas de visites mutuelles. Que dis-je, us évitent même de se rencontrer leur respectabilité est devenue semblable à une idole qu’ils adorent sans le savoir.

Parmi ces gens-là certains se hasardent à donner, en toute ignorance, des consultations juridiques pour ne pas trahir la réputation qu’ils ont d’être toujours au premier plan, et ensuite, ils reprochent aux savants leur avidité pour les biens de ce monde, sans savoir que c’est la situation dans laquelle ils se trouvent eux-mêmes qui devrait être l’objet de ce blâme et non le fait de s’adonner aux plaisirs tolérés.

J’ai ensuite examiné ceux qui aspirent au savoir et j’en ai vu peu qui portaient le signe d’une élévation de pensée. En effet, ce signe se reconnaît à ce que l’on recherche la science pour pouvoir oeuvrer par elle, alors que la plupart d’entre eux recherchent dans la science un moyen de tendre des filets dans lesquels ils ramasseront de l’argent. Ils en profitent pour mettre la main sur des postes de juge et, ainsi, devenir cadi d’un endroit, ou bien, ils en apprennent juste assez pour se distinguer de leurs contemporains puis ils s’en tiennent là.

Enfin j’ai remarqué que la plupart des savants que j’ai observés, étaient les jouets de la passion et ses esclaves. Ils ont une préférence pour tout ce dont la science devrait les tenir écartés et se livrent à ce qu’elle interdit. Ils ne trouvent quasiment aucun goût à la transaction avec Allah. Leur seule ambition est de parler, voilà tout.

Toutefois, Allah n’abandonnera pas la terre sans y faire apparaître un homme qui œuvrera pour Lui, qui associera la foi et les œuvres, qui connaîtront les droits d’Allah et Le craindra. Cet homme sera le pôle de ce monde, et lorsqu’il mourra, Allah le remplacera par un autre qui lui sera équivalent. Peut-être ne mourra-t-il pas avant d’avoir vu celui qui sera apte à le remplacer en toutes choses.

De ce genre d’homme, la terre ne manque pas; ils remplissent le rôle des prophètes. Et celui que je décris ici, sera ferme sur les principes, attentif aux limites imposées. Peut-être aura-t-il peu de science ou ses actions en vue de se gagner la confiance d’Allah seront-elles rares, mais les hommes parfaits dans tous les domaines sont peu nombreux : il n’y en a qu’un seul pour une longue période.

J’ai en effet sondé tous les anciens, car je voulais en trouver un qui ait été homme de science au point d’être un maître et, homme de pratique, au point d’être un exemple pour les dévots. Je n’en ai pas trouvé plus de trois.

Le premier est Hasan al-Basri, le deuxième Sufyân al¬ Thawrî et le troisième Ahmad b. Hanbal. J’ai consacré un livre à la connaissance de chacun d’eux et je ne désap¬prouve pas celui qui leur a joint un quatrième en la personne de Sa’ Id b. al-Musayyib.

Si, parmi les anciens, il y avait de grands hommes, la plupart avait toutefois un aspect qui prédominait au détriment d’un autre : la science chez l’un, les œuvres chez l’autre. Mais ceux que j’ai cité possédaient une vaste somme de savoir et avaient acquis une part considérable dans la connaissance d’Allah et la transaction avec Lui. Il ne faut pas désespérer de l’existence d’un homme qui suivra leurs traces, même si le mérite d’avoir été les premiers leur revient : Allah a révélé à al-Khadir des choses qu’il avait cachées à Moussa. Les réserves d’Allah sont pleines et Ses dons ne se limitent pas à un seul individu.

On m’a raconté qu’Ibn ‘Aqil disait de lui-même : « J’ai navigué dans une barque qui a fait naufrage. ».

Cela provenait d’une erreur, mais comment en aurait-il été capable?

Que de gens satisfaits d’eux-mêmes découvrent, grâce aux autres un défaut à cause duquel ils en viennent à se mépriser! Et que de gens apparus à une époque tardive ont devancé ceux qui les ont précédés dans le temps!

Les nuits, comme les jours, sont en gestation

Allah seul sait ce qu’elles vont mettre au monde!

 
La vie conjugale
 
J’ai médité sur l’utilité du rapport sexuel, sur sa signification et son objet. Le principe essentiel de son existence est la recherche de la procréation. En effet, l’animal que nous sommes se décompose sans arrêt, mais la nourriture vient le reconstituer, jusqu’à ce que, dans ses parties essentielles, quelque chose que rien ne peut plus reconstituer se désagrège.

Comme on ne peut échapper à sa fin dernière et que le but est la prolongation des temps en ce bas-monde, c’est la procréation qui permet à l’homme de se renouveler en son principe. Mais l’idée de la copulation soulève la répulsion des âmes nobles parce que les parties sexuelles sont découvertes et que des choses que l’on ne peut trouver belles en soi entrent en contact. Alors le désir charnel a été créé pour y inciter l’homme afin que le but soit atteint.

Mais je pense qu’au-delà de ce but essentiel il y a autre chose, et c’est le fait de se débarrasser de cette liqueur séminale dont la longue rétention devient nocive. Le sperme se sépare à la quatrième digestion il est constitué à partir de l’élément le plus pur et le plus riche de la pulpe des aliments, puis il se concentre. Il est l’une des réserves de l’être qui fait provision, pour prolonger son existence et conserver sa force, de sang, de sperme et enfin de salive, l’un des principaux éléments constitutifs du corps. Celui-ci constitue donc ces réserves comme s’il craignait de voir manquer l’une d’entre elles.

Une trop grande accumulation de sperme provoque des troubles comparables à ceux provoqués par la rétention d’urine. Toutefois, ces troubles sont plus graves dans le domaine psychique que ceux provoqués dans le domaine physiologique par la rétention d’urine. Une grande accumulation de liquide séminal et sa longue rétention causent en effet de graves maladies car les vapeurs du sperme montent au cerveau et y causent des troubles et parfois même un empoisonnement.

Dans un tempérament sain, la nature réclame l’évacuation du sperme accumulé, comme elle réclame l’évacuation de l’urine. Mais il n’en est pas toujours ainsi certains tempéraments, chez lesquels le sperme s’accumule en moins grandes quantités, auront moins souvent besoin de l’évacuer.

Mais nous ne parlons que du tempérament sain — et je dis : « J’ai montré que s’il subit une trop longue rétention, le sperme provoque des maladies, favorise l’apparition de pensées mauvaises et conduit à la passion, à l’obsession ainsi qu’à d’autres maux.

Toutefois, il peut se faire qu’un homme de tempérament sain continue, après une éjaculation, à être trouble; il est alors semblable à celui qui mange sans être rassasié.

Je pense, après réflexion, que cela provient d’un défaut chez la personne avec laquelle il a commerce, on bien de ce que celle-ci est mal faite, laide, on qu’elle a une difformité, on encore de ce que, tout simplement, il ne la désire pas. Alors, une partie seulement du sperme est évacuée et, si vous en voulez la preuve, comparez donc la puissance d’éjaculation obtenue à l’endroit qui est l’objet du désir avec celle obtenue à un autre endroit comme dans le cas du coït entre les cuisses compare à celui du coït à sa place naturelle ou du coït avec une vierge compare au coït avec une femme gui a perdu sa virginité.

Sachez donc, dans ces conditions, que le choix d’un bon partenaire assure l’éjaculation complète du sperme en excès de sorte que l’âme atteigne un plaisir parfait parce qu’elle aura eu une éjaculation parfaite. Ce gui peut à son tour influencer la conception de l’enfant. Un enfant conçu, en effet, par deux personnes jeunes et qui se sont pendant longtemps abstenues de rapports charnels, est généralement plus fort que celui d’un autre couple ou que celui d’un homme qui se livre continuellement au coït.

C’est de là que vient la condamnation du mariage entre membres de la même famille car l’âme ne peut, dans ce cas, s’abandonner l’homme s’imagine qu’il s’accouple avec une partie de lui-même. La recommandation de contracter mariage avec des étrangers trouve là aussi sa raison.

Dans ce domaine, le but, qui est d’évacuer ces excédents nuisibles, est bien mieux atteint avec un partenaire renouvelé - même s’il est d’aspect désagréable - que dans le cadre de l’habitude.

C’est ainsi qu’un homme rassasié, après s’être bourré de pain et de viande an point de n’avoir plus de place pour ingurgiter une bouchée, pourra manger encore une friandise on quelque chose de meilleur, car la nouveauté à un pouvoir extraordinaire.

L’âme, en effet, montre peu d’empressement pour ce dont elle à l’habitude; elle désire autre chose que ce qu’elle connaît et s’imagine qu’elle trouvera, dans un objet nouveau, une forme de ce qu’elle recherche. Lorsqu’elle n’y parvient pas, elle se détourne vers une autre chose inconnue, comme si, connaissant l’existence d’un objet parfait, et qui n aurait aucune impureté, elle imaginait le trouver dans ce qu’elle voit.

Il y a là, une preuve cachée de la résurrection car dans La nature de cette aspiration de l’homme a un but qui n existe pas en ce monde il y a une sorte d’inanité.

Comprenez-vous cela? Lorsque l’âme découvre les défauts de ce qu’elle rencontre ici-bas, elle repart à La recherche d’un objet nouveau. C’est pourquoi les sages ont dit (La passion rend aveugle, mais dès qu’il prend conscience des défauts de l’être aimé, l’homme se détache. »

Il est bon dans ces conditions que l’épouse ne s’éloigne pas de son époux au point de s’en faire oublier, mais, et ceci est valable pour lui aussi, ne s’en rapproche pas non plus trop pour le lasser on lui révéler ses vices cachés.

L’homme ne doit pas chercher à découvrir les parties secrètes de son épouse. Il doit aussi faire en sorte de ne sentir en cite que des parfums agréables et de lui trouver d’autres vertus que les femmes avisées mettent en valeur. D’ailleurs elles savent cela d’instinct sans avoir besoin d’aucun enseignement. Quant aux sottes elles ne s’en préoccupent pas, aussi leurs maris se détournent-ils vite d’elles!

Quand on désire avoir une descendance de qualité et bien satisfaire son besoin, il faut choisir avec soin son partenaire. Si c’est pour en faire son épouse, l’homme devra voir sa femme avant de se décider s’il a le coup de foudre qu’il l’épouse donc. Mais il lui faudra aussi étudier le sentiment qu’il éprouve.

La preuve qu’il en est amoureux est qu’il peut difficilement en détourner les yeux, et lorsque cela se produit son cœur est tourmenté par l’exigence d’un regard. C’est là l’idéal!

En deçà, existent différents degrés à proportion desquels se trouve réalisée la satisfaction des besoins.

S’il s’agit d’acheter une concubine, on doit l’observer avec encore davantage de soin et il vaut mieux échanger quelques paroles avec une femme et s’entretenir avec elle de manière à en tirer un enseignement et pouvoir y réfléchir dans le calme. La beauté est dans la bouche et dans les yeux.

Ahmad a dit : « II est légal que l’homme voit les parties secrètes de la femme qu’il désire épouser. » Par « parties secrètes », il voulait dire tout ce qui est en plus du visage.

Il vaut mieux, si on le peut, retarder la conclusion d’un mariage ou l’achat d’une concubine, pour observer la manière dont le cœur est épris. En effet, un homme raisonnable voit bien la différence qu’il y a entre le penchant de l’âme provoquée par un objet nouveau et celui inspiré par l’amour. S’il éprouve les tourments de l’amour qu’il s’engage!

‘Atâ’ al-Khurâsâni a dit : « Il est écrit dans la Torah que toute union sans amour est un malheur et une cause de repentir jusqu’au jour du Jugement. »

De plus celui qui fait le choix d’une compagne doit chercher à connaître ses traits de caractère; ils appartiennent, en effet, au domaine du cache et lorsque le contour physique est vide de sens il est comme la verdure gui pousse sur un tas d’ordures.

Avoir une descendance de qualité est le but que l’on doit chercher à atteindre. Dc même, chasser les préoccupations apparues dans l’âme à cause des divers désirs est un excellent principe qui permet an cœur de s’attacher aux choses importantes. Quiconque est libéré des préoccupations accessoires, peut se consacrer à celles qui sont essentielles. C’est pourquoi il est dit dans le hadith du Messager d’Allah (saluts et bénédictions d’Allah sur lui) : « Un juge ne doit pas trancher un différend alors qu’il est en colère, et lorsque le repas du soir est servi et qu’arrive l’heure de la prière, il faut commencer par le repas. »

Quand l’homme peut avoir une femme qui lui donne satisfaction par son physique et son esprit, il doit fermer les yeux sur ses défauts. Elle, de son côté, s’efforcera de le satisfaire sans la familiarité qui engendre l’ennui, mais sans l’éloignement qui provoque l’oubli et, si elle use de quelque séduction, il réalisera, grâce à elle, ces deux objectifs avoir des enfants et satisfaire son désir.

Avec les précautions que j’ai conseillées la vie commune pourra durer et l’homme, grâce à son épouse, parviendra à se passer des autres. S’il avait la possibilité d’avoir plusieurs épouses et que, déjà marié, il en prenne une seconde, en sachant qu’ainsi il arrive à délivrer totalement son coeur de ses soucis, ce serait le mieux pour lui. Mais s’il craint de faire naître une jalousie qui distrait son esprit dont nous venons de montrer qu’il faut concentrer les aspirations, ou s’il a peur de trouver une femme si belle qu’elle empêche son cœur de s’absorber dans la pensée de l’au-delà on qui lui demande des choses qui lui feront perdre son esprit de scrupule, alors, il devra se contenter d’une seule épouse.

Les conseils que je viens de donner impliquent que la chasteté n’existe pas chez les jolies femmes. L’homme qui se trouve en avoir les surveillera et les cachera avec soin. Et s’il découvre en elles quelque chose qui ne lui plait pas, il devra s’empresser d’en changer. C’est un moyen de trouver consolation. Mais lorsque cela est possible, il vaut mieux qu’il se contente d’une seule femme. Si celle-ci est conforme à ses désirs il s’en trouvera bien, sinon qu’il en change. Le rapport charnel avec la femme aimée, en éliminant complètement la liqueur accumulée, permet d’avoir des enfants beaux et accomplis et d’atteindre à une satisfaction totale.

Si l’homme craint la jalousie, il devra prendre des esclaves concubines car elles sont moins jalouses et éprouvent, plus facilement que les épouses, de l’admiration pour les hommes.

Il y a en des gens qui ont pu avoir simultanément plusieurs épouses et celles-ci n’en souffraient pas.

 
La convoitise

J’ai constaté que la convoitise que l’âme éprouve pour ce qui lui est interdit augmente avec la sévérité de l’interdiction. Parmi les premiers hommes, je vois Adam (‘aleyhi salam) qui, lorsqu’il s’est vu interdire de toucher à l’arbre, le convoita, malgré le nombre des arbres qui pouvaient le dispenser de toucher à celui-là.

On dit dans les proverbes « L’homme désire ce qu’il ne peut avoir et s’enflamme pour ce qu’il n’a pas. »

On dit aussi « Si on imposait la faim aux hommes ils se résigneraient mais si on leur interdisait de piler de la fiente pour en manger, ils en auraient envie! » On ne nous empêche d’y toucher, diraient-ils, que pour une raison que l’on ne veut pas nous dire.

Il y a à cela deux raisons que j’ai découvertes.

La première c’est que l’âme ne supporte pas d’être privée de quelque chose. Elle peut, cependant, supporter une privation dans les limites physiques du corps, mais si, par une interdiction, on donne à cette privation une réalité intellectuelle, son impatience devient grande. Ainsi, un homme pourra rester enfermé chez lui pendant un mois sans souffrir, mais dites-lui : « Tu ne sortiras pas de chez toi pendant toute une journée », il trouvera cela trop long!

La seconde raison est que l’âme accepte difficilement de se plier à un joug, c’est pourquoi elle trouve agréable ce qui est illicite et n’apprécie guère ce qui est licite. C’est pourquoi elle s’asservit devant ce qu’elle voit et qu’elle préfère plus facilement que devant ce qui est préférable.
 
 
L'âme

C’est un point obscur pour les hommes que celui de l’âme et de sa quiddité, bien qu’ils soient unanimes à admettre son existence. Toutefois, il n’est pas grave d’en ignorer l’essence, quand on reste convaincu de son existence.

C’est un second point obscur, pour eux, que le sort de l’âme après la mort. La doctrine des gens de vérité est qu’elle a une existence après la mort et qu’elle éprouve plaisir et souffrance. « Les âmes des croyants, a dit Ibn Hanbal, sont au paradis, et celles des infidèles en enfer. »

Dans le hadith des martyrs, il est dit aussi que les âmes se trouvent dans les gésiers d’oiseaux verts qui prennent leur nourriture dans les arbres du paradis.

Mais un sot a pris les hadiths du plaisir à la lettre et a déclaré « Les morts, dans leurs tombes, mangent et ont des rapports charnels. » En fait, l’âme, après la mort quitte le corps pour les délices ou les supplices et les éprouve jusqu’au jugement dernier. Elle sera alors renvoyée dans le corps pour que, par son intermédiaire, ses délices soient plus complets. Et l’expression « dans les gésiers d’oiseaux verts » montre bien que les âmes ne trouvent de plaisir que grâce à un intermédiaire. Mais ce plaisir est celui de manger et de boire, quant à ceux procurés par les connaissances profanes et religieuses, l’âme peut les éprouver par elle-même, sans l’aide d’intermédiaire.

J’ai rappelé ces choses parce que j’ai constaté que l’idée de la mort provoquait un certain trouble en mon âme et que celle-ci n’y voyait que néant.

— Si tu ajoutes foi à la Loi révélée, lui ai-je dit, tu es déjà renseignée par ce que tu sais, et il n’y a aucune raison de nier. Mais, si tu as des doutes sur les énoncés de la Loi, c’est de leur validité qu’il faudra alors parler.

— Je n’éprouve aucun doute, me dit-elle.

Efforce-toi donc de donner plus de certitude à ta foi et plus de fermeté à ta piété, réjouis-toi alors du bonheur que tu éprouveras à l’heure de la mort je ne crains pour toi rien tant que ton insuffisance à œuvrer. Sache donc que les délices de la récompense sont en rapport avec les degrés des mérites. Élève-toi sur les ailes de l’effort jusqu’à leurs plus hautes tours et méfie-toi de la passion chasseresse et des filets de la séduction!


La séduction de l'âme

Mon âme, influencée par les séances d’exhortation, la conversion des pécheurs et la vision des abstinents ne cesse de m’inciter à me couper des hommes, et à m’isoler dans la pensée de l’au-delà.

Mais je pus me rendre compte, en y réfléchissant, que tout provenait de Satan il voit bien, en effet, que mes séances sont toujours fréquentées par d’innombrables personnes qui pleurent, regrettent leurs fautes, et parmi lesquelles, généralement, certaines se convertissent et abandonnent une conduite libertine. Cela s’est déjà produit des cinquantaines, des centaines de fois. Certains jours même plus de cent personnes se sont converties par mes soins, en majorité des jeunes gens qui avaient grandi dans les divertissements et vécu dans la débauche.

Donc, semble-t-il, Satan, si profondément enfoncé dans sa malfaisance, voyant que j’attirais à moi des gens que je détournais de lui, voulut m’en empêcher par des propos trompeurs pour se retrouver seul avec ceux que j’arrachais à sa griffe.

Cherchant à me faire trouver bon de mettre un terme à mes séances, il me dit « Tout cela ne manque pas de coquetterie!

Mais je lui répondis « Donner aux mots de l’éclat et de l’élégance, faire jaillir l’idée d’une belle expression, cela est qualité, non vice. Quant à tenir aux hommes des discours que la Loi réprouve, Allah m’en préserve!»

Je remarquai ensuite qu’il voulait me faire voir d’un bon œil, dans la vie ascétique, le renoncement à des moyens, en fait tolérés, de gagner ma vie.

« Si l’ascétisme me convient, lui déclarai-je, et que je puisse supporter la retraite, ce que je possède, et dont une partie de ma famille a besoin, filera entre mes doigts. N’y perdrai-je pas? Laisse-moi donc rassembler de quoi combler ma pauvreté et me préserver de la mendicité. Si mon existence est prolongée, ce que j’aurai gagné me sera utile, sinon, ce sera pour ma famille. Je ne veux point être comme ce voyageur qui versa sa provision d’eau en voyant un mirage. Quand, par la suite il s’en repentit, il était trop tard!

Certes le bon sens est de préparer sa couche avant de s’endormir et de réunir avant la vieillesse et en s’armant de prudence l’argent qui fera obstacle à la pauvreté.

Le Prophète (saluts et bénédictions d’Allah sur lui) a dit « Il vaut mieux laisser tes héritiers riches que de les laisser pauvres a mendier dans les rues. »

Il a dit aussi « Oui, l’argent sans tache à l’homme intègre ».Et pour ce qui est de se couper des autres, il s’agit avant tout de se tenir à l’écart du mal et non du bien, mais c’est de toute façon un devoir que de se tenir à l’écart du mal!

Quant à instruire ceux qui le désirent et à guider ses disciples, voilà le culte du savant!

C’est une erreur dans laquelle tombent certains savants que de rechercher de préférence l’œuvre surérogatoire dans le jeûne et la prière, plutôt que dans la composition d’un ouvrage ou dans l’enseignement d’une science utile qui sont, en effet, des semences promises à un bon développement et à une longue fructification.

Seulement l’âme se laisse facilement séduire par les artifices de Satan, pour deux raisons d’abord, l’amour de l’oisiveté, car il est tout simple, pour elle, de se confiner dans la retraite et ensuite le goût des compliments car, en se parant d’ascétisme, elle fait croître la sympathie que le peuple a pour elle.

Observe avec soin les premiers musulmans, sois donc dans le groupe de tête qui comprend le Prophète (saluts et bénédictions d’Allah sur lui) et ses compagnons. A-t-on jamais rapporté sur l’un d’entre eux ces choses qu’ont inventées ces stupides ascètes et mystiques, comme de rejeter la science et de fuir les hommes?

Est-ce que l’occupation des prophètes n’a pas consisté uniquement à prendre soin des hommes? A les pousser au bien et à leur interdire le mal?

Seul l’homme ignorant et désireux de se protéger du mal se retirera du monde; c’est le cas du malade qui craint le danger d’un écart de régime.
 
 
L'obligation morale

Je déclarai, un jour, au cours d’une séance que je tenais « Si les montagnes avaient dû porter ce que j’ai eu à porter, elles n’auraient pu tenir! »

Lorsque je fus revenu chez moi, mon âme s ‘écria : « Comment as-tu pu dire cela? Les gens vont s’imaginer que tu souffres alors que tu vis, ainsi que ta famille, dans une parfaite sérénité. Et ce que tu as enduré, est-ce autre chose que la contrainte morale imposée à toutes les créatures. Dès lors, pourquoi cette plainte? »

Voici ce que je lui répondis « Comme je peinais sous le poids de ce que j’avais à supporter, j’ai prononcé ces mots, non pour me plaindre, mais pour soulager mon cœur. Et nombreux sont les compagnons et les suivants qui ont déclaré avant moi: « Ah! Si nous n’avions pas été créés ! » Cela, tout simplement parce qu’ils avaient de la peine à supporter certains fardeaux. De plus, ceux qui croient que les obligations morales sont faciles à accomplir ne les connaissent pas.

Comment peut-on s’imaginer qu’elles consistent dans le fait de se laver les membres avec un peu d’eau ou bien de se placer devant un mihrab pour accomplir deux génuflexions? Allons donc! Ce sont là les plus simples des actions qui nous sont imposées.

L’obligation morale, c’est justement ce devant quoi les montagnes sont impuissantes!

Ainsi, lorsque je vois le destin s’abattre d’une manière qui déroute ma raison et que je la force pourtant à se soumettre au décret divin, c’est bien là accomplir la plus difficile des obligations. Et surtout quand il s’agit de choses dont l’esprit ignore la signification, comme la souffrance imposée aux enfants et le sacrifice des animaux, tout en étant persuadé que Celui qui les décide, et les fait réaliser, est le plus clément des miséricordieux.

Voilà bien des choses à cause desquelles l’esprit se trouve plongé dans la perplexité. L’obligation, ici, est de s’abandonner, de s’abstenir de toute objection.

Quelle différence entre la contrainte exercée sur le corps et celle exercée sur l’esprit! Si j’avais développé ce sujet, mon propos aurait duré : toutefois, je vais justifier ce que j’ai dit. C’est de moi que je vais parler et l’état des autres ne m’y oblige pas.

Je suis un homme en qui dès l’enfance s’est manifesté l’amour de la science et qui s’y est entièrement consacré. Et ce n’est pas seulement une des branches de la science que j’ai aimée, mais toutes. Et mon ambition ne se limite pas dans une branche, à une partie de celle-ci, mais je cherche passionnément à l’approfondir dans sa totalité.


Cependant le temps qui nous est donné ne suffit pas, la vie est trop courte, l’ambition trop grande, l’impuissance apparaît vite et certains désirs insatisfaits se transforment en déceptions!

Ensuite la science m’a amené à la connaissance de Dieu et m’a incité à Le servir. Les preuves de Son existence m’ont appelé à Lui. Je me suis tenu debout devant Lui, je L’ai vu dans la description qu’Il a faite de Lui et je L’ai reconnu à Ses attributs. Les grâces qu’il m’accorde sont à mes yeux si évidents qu’elles m’ont entraîné à rechercher éperdument Son amour et m’ont poussé à me libérer de tout pour me consacrer à Son service.

Une sorte d’extase s’empare de moi chaque fois que je cite Son nom, et la retraite que je consacre à Le servir est, pour moi, plus douce que toute douceur. Mais, chaque fois que je veux m’arracher à mes occupations pour me réfugier dans la retraite, la science me crie

— Où vas-tu donc? Te détournes-tu de moi qui te L’ai fait connaître?

— Tu n’es qu’un guide, et quand on est arrivé au but on n’a plus besoin de guide!

— Allons donc! me répond-elle, plus ta science augmente, plus la connaissance que tu as de Ton Aimé grandit et mieux tu vois comment t’en faire aimer. La preuve en est que tu sauras, demain, ce qu’il te manque aujourd’hui. Ne l’as-tu donc pas entendu dire à son Prophète (saluts et bénédictions d’Allah sur lui) :

« Et dis O Dieu, augmente ma science ! »
Qur’an XX, 113.

Eh quoi, tu ne veux donc pas te rapprocher de Lui? Travaille à guider Ses créatures vers Lui. C’est le rôle des Prophètes. Ne sais-tu pas qu’ils ont préféré l’édification des hommes aux solitudes de la dévotion, car ils savaient que cela plaisait davantage à Leur Aimé?

Lorsque j’eus compris le bien-fondé de ces paroles, j’éprouvais l’extravagance de ma situation chaque fois que je voulais amener les hommes à se concentrer, mon esprit se dispersait. Lorsque je réussissais à leur être utile, je tombais, moi, dans le désarroi et je demeurais hésitant, au bord de la stupéfaction, ne sachant sur quel pied danser.

Lorsque je m’arrêtais, interdit, la science s’écriait : « Va donc gagner la subsistance de ta famille! Travaille pour tes enfants qui chanteront les louanges de D’Allah! »

Quand je me mettais à cette entreprise, les mamelles du monde se rétractaient comme lorsqu’on veut les traire et je voyais la porte de la subsistance se fermer devant moi, car l’exercice de la science m’avait empêché d’exercer une profession. Lorsque je me retournais vers les hommes de ce monde, je constatais qu’ils ne vendaient leurs marchandises qu’au prix de la foi de l’acheteur. Ah! Si celui qui les traite avec duplicité et les trompe pouvait leur enlever une partie de leurs biens terrestres ! Mais que dis-je? Il arrive que la foi disparaisse sans que l’on ait atteint son but! Quand l’inquiétude me disait « Sauve-toi », la loi me criait « L’homme commet déjà un péché suffisant en abandonnant ceux qu’il nourrit. » Et si la détermination s’écriait « isole-toi! », la loi me demandait « Mais que feras-tu donc de ceux que tu entretiens? »

Le résultat fut que je commençais à user de plus en plus parcimonieusement des biens de ce monde alors que j’avais été élevé dans ses délices et que j’avais été nourri de son lait; et la délicatesse de mon organisme était plus grande encore que celle qui lui venait de l’habitude. Lorsque je prenais d’autres vêtements et que je me nourrissais frugalement - car vivre au jour le jour ne tolère aucun accommodement - ma nature éprouvait des répulsions parce que l’habitude était rompue. La maladie s installa, qui m’empêcha d’accomplir mes devoirs et me fit tomber dans les difficultés.

On sait que le pain frais que l’on mange aussitôt qu’on l’achète est un élément agréable de la vie mais que le manger rassis, chez quelqu’un qui n’y est pas habitué, est une agression contre l’âme.

Comment agir? Que faire? » M’écriai-je, et je me retirai en mon âme, dans la solitude, versant des larmes abondantes sur la disparition de ma condition antérieure.

Je disais : J’explique ce que devrait être la condition des savants, alors que mon corps est incapable de s’appliquer à la science, celle des ascètes, alors que mon organisme ne supporte pas les privations, celle des amoureux, alors que la fréquentation des individus disperse mon esprit et que la concupiscence grave en mon âme l’image des aimés, alors le miroir de mon cœur se brouille. Mais l’arbre d’amour doit venir dans une bonne terre où l’eau de la solitude amenée par la roue de la pensée peut l’arroser.

Quand je choisissais de gagner ma vie, j’étais impuissant. Quand je me tournais vers les gens du siècle, bien que ma nature fût de mépriser la médiocrité et que mon esprit religieux m’en retînt éloigné, j’en perdais toute envie à cause de cela. Et puis le contact des hommes est une souffrance pour l’âme à cause de leur haleine.

Réaliser mon repentir n’était pas à ma portée, m’élever dans la science, les œuvres ou l’amour de d’Allah ne m’était possible, et je me retrouvais dans la situation décrite par le poète.

Il l’a jeté, garrotté, dans la mer et lui a dit

Prends garde, prends bien garde de te mouiller!

Je ne savais que faire, je pleurais sur ma vie et, dans les déserts de ma solitude, je m’écriais comme j’avais entendu un homme du peuple le faire qui paraissait avoir décrit ma situation :

Ah! Que je voudrais te cacher ma peine

comme le captif qui n’a ni lien ni chaîne.

Comment fuir la passion qui m’a fait perdre tout contrôle?

Car ta m’as attaché les ailes et puis ta m’as di: Vole!


L'égarement des mystiques

En examinant les conditions de vie des mystiques et des ascètes, je peux constater qu’elles sont, pour la plus grande partie en contradiction avec la Loi révélée, soit parce que tous ces gens sont ignorants, soit parce qu’ils se livrent à des innovations toutes personnelles. Ils se fondent sur des versets coraniques dont ils ne comprennent pas le sens et sur des hadiths qui ont été faits spécialement et dont la plupart sont irrecevables.

Ainsi, ils entendent ces versets :

« La vie immédiate n’est que jouissance illusoire »,
Qur’an,III, 182

Et :

« La vie immédiate est seulement jeu, plaisir et (vaine) parure »,
Qur’an, LVII, 19.

Ensuite, ils entendent le hadith « Ce monde ne vaut pas plus pour Dieu qu’une brebis morte pour les gens qui y vivent. »

Ils se montrent alors excessifs dans leur refus du monde, et cela sans en avoir recherché la réalité profonde. En effet, tant que l’on ne connaît pas la réalité d’une chose, il n’est permis ni de la blâmer ni de la louer.

Ainsi, quand nous étudions ce bas-monde, constatons-nous que de cette vaste terre dont on a fait le lieu de séjour des créatures, celles-ci tirent leur nourriture et qu’elles y enterrent leurs morts. Une chose qui offre de tels avantages ne peut être blâmée.

Nous savons aussi que tout ce qu’il y a sur terre eau, plantes, animaux est utile à l’être humain et renferme les conditions de sa survie. Et nous savons que celle-ci est elle-même un moyen de connaître Allah, de Lui obéir et de Le servir. Il est donc clair que tout ce qui permet l’existence d’un être qui arrive à la connaissance d’Allah et L’adore doit être approuvé et non condamné.

Dès lors, il est évident pour nous que le blâme ne doit s’appliquer qu’aux actions de l’homme qui ignore Allah ou qui Lui désobéit en cette vie immédiate. Mais si l’on gagne des richesses licites et si l’on s’acquitte de l’aumône légale, on ne doit pas être blâmé.

On sait ce qu’ont laissé à leur mort Zubayr, Ibn ‘Awf et d’autres (qu’Allah les agrée). La dotation de ‘Ali s’élevait à 40.000 dinars, Ibn Mas’ ûd a laissé 90.000 dinars; Layth b. Sa’ d avait un revenu annuel de 20.000 dinars, Sufyân avait de l’argent pour faire du commerce et Ibn Mahdî avait un revenu annuel de 2.000 dinars.

Et même quand l’homme se marie souvent et qu’il a de nombreuses concubines, cela ne peut lui être reproché le Prophète (saluts et bénédictions d’Allah sur lui) avait plusieurs femmes et concubines et la plupart des compagnons en avait tant et plus. ‘Alî avait quatre épouses de condition libre et dix-sept concubines-¬mères et son fils Al-Hasan (qu’Allah les agrée) épousa environ quatre cents femmes.

Si l’on se marie pour avoir des enfants, c’est là la forme la plus parfaite de la dévotion et si c’est pour y chercher le plaisir et la jouissance, la loi l’autorise. Le mariage permet, en effet, de se livrer à d’innombrables actes de dévotion, et, en particulier, de préserver sa pureté ainsi que celle de son épouse.

Moïse (‘Aleyhi salam) passa dix ans de sa noble vie à réunir la dot de la fille de Shu’ ayb. Si le mariage n’avait pas constitué une excellente chose les prophètes n’y auraient pas consacré une grande partie de leur temps.

Ibn ‘Abbâs disait « Les meilleurs de cette nation sont ceux qui ont le plus de femmes », et il avait des rapports avec une de ses servantes et allait ensuite en trouver une autre.

La concubine de Rabî’ b. Khaytham disait de ce dernier qu’il pratiquait le « coïtus interruptus ».

Quant à la nourriture, on attend d’elle qu’elle fortifie notre corps pour le service d’Allah. C’est un devoir quand on possède une chamelle que d’être bon pour elle afin qu’elle puisse nous porter. Le Prophète (saluts et bénédictions d’Allah sur lui) mangeait ce qui lui était présenté même si c’était de la viande, et il aimait le poulet. Mais ce qu’il aimait le mieux c’était les gâteaux et le miel. On n’a pas rapporté, à son sujet, qu’il se soit privé d’un aliment autorisé.

On apporta, un jour, à ‘Alî un gâteau au miel (fâlûdhaj); il en mangea puis demanda ce que c ‘était « C’est le jour de l’An persan (nawrûz)! » lui dit-on. « Ce sera notre jour de l’an tous les jours! »

Ce qui est interdit, c’est de manger encore après que l’on s’est rassasié et de s’habiller d’une manière vaine et insolente. Cependant certains hommes se sont contentés de moins que cela, car on ne peut guère, dans le cadre de ce qui est simplement licite, atteindre à la satisfaction totale de ses aspirations. Toutefois le Prophète (saluts et bénédictions d’Allah sur lui) a porté un manteau qui lui avait été acheté pour vingt-sept chameaux et Tamîm al-Darî possédait un manteau qui avait coûté 1.000 dirhams et dans lequel il priait la nuit.

Puis des gens sont venus qui ont fait semblant de renoncer au monde et qui ont découvert une doctrine que la passion leur a fait trouver belle et qu’ils se sont appliqués ensuite à justifier. Mais il convient plutôt d’obéir au signe et non de suivre une voie pour ensuite en chercher le signe indicateur.

Ils se sont divisés par la suite certains qui ont un maintien affecté sont, intérieurement, de véritables lions galeux. Se laissant aller aux concupiscences dans la solitude et goûtant aux plaisirs, ils montrent aux autres, par leur costume, qu’ils sont des mystiques qui ont renonce au monde. D’ascètes, ils n’ont que la tunique, et lorsqu’on observe leur comportement, non voit qu’il y a chez eux la morgue de Pharaon!

D’autres ont une vie intérieure saine, mais ils sont, de la Loi, ignorants.

Il y en a d’autres qui enseignent et composent : les ignorants les prennent pour guides de leur doctrine et ils sont alors comme des aveugles qui suivent un aveugle. Mais, si tous ces gens avaient examiné de près l’état premier dans lequel ont vécu le Prophète (saluts et bénédictions d’Allah sur lui) et ses compagnons, ils ne se seraient pas égarés. En effet, certains hommes qui ont découvert la vérité ne se sont pas laissés influencés par des personnalités en renom. Lorsqu’elles s ‘écartaient de la loi, ils les couvraient, au contraire, de reproches.

On rapporte, à propos d’Ibn Hanbal, qu’al-Marwazî lui demanda un jour :

—Quelle est ton opinion sur le mariage?

—La sunna du Prophète, répondit-il.

L’autre continua : « Ibrahîm (B. Adham) a dit... »

Mais Ibn Hanbal s ‘écria : «   »

On lui dit aussi Sarî al-Saqatî a dit : « Lorsque Allah créa les lettres, le alif se mit debout et le ba s’agenouilla. » Mais il s ‘écria : « Les hommes l’ont fui! » Sache donc que l’homme qui a découvert la vérité ne se laisse pas impres¬sionner par un grand nom. Ainsi quelqu’un demanda à ‘Alî « Penses-tu que nous devions considérer que Talha et Zubayr aient été dans l’erreur? — Ce n’est pas aux hommes que l’on reconnaît la vérité, répondit-il. Reconnais la vérité, tu reconnaîtras ceux qui la pra¬tiquent! » Par Allah, dans les âmes s’est gravée une telle admiration pour certains hommes que quoi que l’on puisse rapporter d’eux, celui qui ignore la Loi l’accepte spontanément.

On rapporte ceci de Abû Yazîd « Comme mon âme manquait d’énergie et se dérobait, je fis le serment de ne pas boire d’eau pendant une année! » Cela, s’il l’a vraiment fait, est une faute très grave, un péché abominable, car l’eau fait pénétrer la nourriture dans l’organisme et rien ne peut la remplacer. En ne buvant pas, il a nui à son corps.

Le Prophète (saluts et bénédictions d’Allah sur lui) quant à lui, appréciait beaucoup l’eau.

Comment peut-on considérer un tel acte comme celui d’un homme qui sait que son âme ne lui appartient pas et qu’il n’a le droit d’en disposer qu’avec la permission de son Seigneur?

De même, on rapporte qu’un soufi avait raconté ceci « Je me rendis à la Mekke pieds nus, pour prouver mon total abandon à dieu. Les épines me rentraient dans les pieds, alors je les traînais par terre sans les lever. Je portais une robe de bure et j’en frottais mon oeil quand il me faisait mal, et c’est ainsi que j’ai perdu l’un de mes yeux. »

Les exemples de ce genre abondent et les sermonnaires qui s’adressent au peuple dans les rues les assimilent parfois à des miracles et les offrent à l’admiration du vulgaire qui va s’imaginer que l’homme qui fait de telles choses est supérieur à al-Shâfi’ î et à Ahmad. Par Allah, ce sont de très graves fautes, des vices affreux car Allah a dit : « Ne vous détruisez pas », Coran, IV, 3 et le

Prophète (saluts et bénédictions d’Allah sur lui): « Votre âme a des droits sur vous. »

Abû Bakr, au moment de l’exil, cherchait de l’ombre pour y abriter le Prophète et lorsqu’il vit un rocher, il prépara un coin de repos dans son ombre.

Mais des symptômes de ces excès apparaissent déjà chez les anciens de notre communauté ainsi qu’on a pu le rapporter. Ils ont fait école pour deux raisons: l’ignorance d’abord et le souvenir récent de la vie monastique ensuite.

Al-Hasan reprochait leur ascétisme à Farqad ai¬Sabakhî et à Mâiik b. Dinâr. On trouva chez lui un plat avec de la viande, il dit : « Ce n’est ni les deux galettes de Mâlik ni l’assiette de Farqad! » Il vit un grand manteau sur les épaules de Farqad : « La plupart des gens qui sont destinés à l’enfer, O Farqad, portent des manteaux! » Souvent un sermonnaire orne la séance qu’il tient en parlant de personnes qui entreprennent un voyage de dévotion en n’emportant ni vivres ni eau. Mais il ne sait donc pas que c’est une très vilaine action et qu’Allah ne peut être mis à l’épreuve. Un ignorant qui désire faire acte de repentir risque, après l’avoir entendu, de partir sans provisions et de mourir en route! Le conteur

aura alors sa part dans le péché commis.

Souvent ces sermonnaires content que Dhû Nûn rencontra une femme au cours de son voyage, qu’il lui adressa la parole et qu’elle lui répondit : « On oublie donc les hadiths authentiques! « Il n’est permis à une femme de voyager, de jour ou de nuit, qu’accompagnée d’un chaperon ».

Ils rapportent aussi que des hommes ont marché sur l’eau. Et quand Ibrâhim al-Harbî leur dit : « Il est faux que quelqu’un ait jamais pu marcher sur l’eau! », ils demandent « Nies-tu donc les miracles accomplis par les saints vénérables?» Nous répondrons ceci « Nous ne sommes pas de ceux qui les nient, mais nous n’admettons que ce qui est authentique. Les hommes vénérables sont justement ceux qui suivent la Loi sans obéir à leurs opinions personnelles ».

Dans le hadith il est dit que les fils d’Israel se montrèrent récalcitrants Allah fut alors implacable à leur égard.

Parfois, les sermonnaires appellent à la pauvreté, tant et si bien qu’ils poussent à se défaire de leurs biens certains individus qui, ensuite, quand ils se trouvent dans le besoin, en sont réduits soit à vivre d’expédients illicites, soit à s’exposer à la mendicité.

Que de musulmans ont souffert de leurs exhortations à vivre de peu! Et pourtant le Prophète (saluts et bénédictions d’Allah sur lui) a dit « Un tiers de nourriture, un tiers de boisson, un tiers de respiration. » Ils ne sont, eux, satisfaits que lorsqu’ils ont amené les gens à limiter exagérément leur nourriture.

Abû Tâlib al-Makkî, dans son ouvrage intitulé « Nour¬riture des cœurs » (Qût al-qulûb) raconte qu’il y avait parmi eux un homme qui pesait sa nourriture avec une datte fraîche; mais, chaque jour, elle se desséchait un peu plus. J’ai été, moi-même, dans ma jeunesse, l’un d’eux qui guidaient leur conduite sur ses paroles; mes intestins rétrécirent, ce qui provoqua une maladie de plusieurs années.

Comment croire que cela soit une chose que la sagesse puisse rendre nécessaire ou que la Loi doive conseiller?

La monture de l’être humain, ce sont ses forces uniquement; s’il travaille à les réduire, il sera trop faible pour accomplir ses actes de dévotion.

Et ne dites surtout pas « Il est impossible d’atteindre au licite parfait, c’est pourquoi le renoncement est nécessaire pour éviter les choses douteuses. » Le croyant doit seulement faire un choix dans ce qu’il gagne, c’est cela qui est licite. On ne peut retenir contre lui ce qui aurait pu être fait par d’autres avec cet argent qu’il a gagné. Ainsi, supposons qu’en entrant dans les pays chrétiens nous y trouvions l’argent destiné aux boissons spiri¬tueuses et le salaire de la luxure; tout cela nous serait licite en qualité de butin de guerre. Entendez-vous donc par licite une pureté telle que la pépite d’or n’ait pris, à aucun moment depuis qu’elle a été extraite de la mine, une qualification que l’on puisse condamner?

C’est un cas que le Prophète (saluts et bénédictions d’Allah sur lui) n’a pas examiné. Vous savez certainement qu’il était interdit de lui donner l’aumône mais, lorsqu’il reçut de Barîra un morceau de viande, il lui fut possible de le manger, précisément parce que son statut légal avait changé.

Ahmad b. Hanbal a dit « Je déteste les restrictions alimentaires. Certains se les imposent qui sont incapables ensuite d’accomplir leurs devoirs religieux. »

Cela est bien vrai! Celui qui se nourrit d’une manière frugale continuera à se restreindre jusqu’à ce qu’il devienne incapable, d’abord de faire ses prières surérogatoires, puis d’accomplir ses devoirs obligatoires, ensuite de gérer les affaires de sa famille et de la faire vivre dans la décence...

Ne sois donc pas effrayé par les hadiths qui nous incitent à endurer la faim; leur but est soit de nous inviter à jeûner légalement, soit de nous empêcher de rechercher la satiété et, pour ce qui est de réduire notre nourriture d’une manière permanente, cela influe sur les forces physiques et n’est donc pas licite.

Parmi ces gens que l’on doit stigmatiser, il y en a qui sont d’avis de ne pas manger de viande alors que le Prophète (saluts et bénédictions d’Allah sur lui) aurait voulu en manger tous les jours.

Ecoute-moi donc sans partialité et ne m’objecte pas les noms d’hommes respectables : Tu dis, en effet Bishr a dit, Ibrâhim b. Adham a dit, mais celui qui invoque le nom du Prophète (saluts et bénédictions d’Allah sur lui) et de ses compagnons a un argument meilleur.

Il y a toutefois dans les actes de ces gens des aspects auxquels nous accorderons un préjugé favorable.

Je m’entretenais un jour avec un de nos maîtres sur le fait, que certains hommes vénérables avaient, ainsi qu’on le rapporte, enterré leurs livres.

—Pourquoi ont-ils fait cela? Lui demandai-je.

—Ce que nous avons de mieux à faire, assura-t-il, c’est de nous taire.

Il voulait dire par-là que cet acte était dû à leur ignorance. Quant à moi, j’expliquerai ainsi leur conduite peut-être, dans les livres qu’ils ont enterrés, se trouvait-il une forme d’opinion personnelle et ils n’ont pas jugé bon que les autres la suivent. Dans le hadith d’Ahmad b. Abî-l Hawârî, on rapporte qu’il avait pris ses livres, les avait jetés à la mer et s’était écrié « Quel bon guide je suis ! »

Eh! Nous n’avons plus besoin de guide puisque nous sommes déjà arrivés à destination. De cet homme, nous pourrons dire, en lui accordant un préjugé favorable, qu’il n’était pas satisfait des propos que ses livres renfermaient. Mais s’il s’était agi de sciences authentiques cela aurait été une destruction des plus criminelles.

Si j’ai pu fournir cette interprétation, c’est qu’elle est valable eu égard aux savants qu’ils comptent parmi eux.

En effet, on nous a rapporté que Sufyân al-Thawrî avait recommandé que l’on enterrât ses livres car il regrettait d’avoir écrit des choses reçues de certaines personnes, il disait « C’est la passion du hadith qui m’y a poussé. »

Cela, parce qu’il écrivait en se fondant sur des autorités faibles et non reconnues. Disons qu’il avait recommandé d’enterrer le tout à partir du moment où il n’arrivait plus à faire de distinction entre ce qui était authentique et ce qui ne l’était pas. De la même manière l’homme est autorisé à enterrer ses livres quand il s’y trouvera des idées correspondant à des opinions qui furent les siennes mais sur lesquelles il est ensuite revenu.

C’est là une manière d’interpréter l’attitude des savants, mais en ce qui concerne les ascètes qui n’ont vu là que l’aspect extérieur et qui ont enterré des livres de valeur pour que ceux-ci ne les détournent pas de leur dévotion, il y a stupidité de leur part. Ils ont tenté, en effet, d’éteindre une lampe qui pouvait les éclairer, sans parler de l’acte criminel auquel ils se livraient en détruisant indûment une richesse.

Yûsuf b. Asbât est un de ceux qui ont travaillé à détruire les livres de science, il ne put ensuite s’empêcher de rapporter des traditions, mais dans une confusion totale, et il fut compté parmi les transmetteurs médiocres.

Shu’ ayb b. Harb raconte « J’ai demandé à Yûsuf b. Asbât:

—Qu’as-tu fait de tes livres ?

—Je suis allé sur l’île et lorsque la mer s’est retirée, je les ai enfouis dans le sable; à la marée montante, je suis reparti.

—Qu’est-ce qui t’a poussé à faire cela ?

—Je voulais conserver ma concentration d’esprit. »

On a dit « Al-Asbât a enterré ses livres mais même alors son esprit était hanté par des chimères et ce qu’il a écrit ensuite n’était pas bon du tout. »

Je pense, quant à moi, qu’il s’agissait apparemment de livres contenant une science utile, mais son ignorance l’a conduit à cet excès qu’il croyait opportun, mais qui ne l’était pas. La chose n’aurait présenté aucun caractère de gravité Si ces livres avaient été de même nature que ceux d’al-Thawrî, dans lesquels se trouvaient des hadiths tenus de rapporteurs faibles et où il devenait difficile de distinguer le bon du mauvais. Mais le fait qu’il ait voulu se chercher une excuse dans sa volonté de ne pas se laisser distraire prouve bien que ses ouvrages n’étaient pas ainsi. Voyez donc où le manque de science conduit les gens de bien!

Nous avons appris que quelqu’un que nous admirons et dont nous visitons le tombeau, avait uriné sur les bords du Tigre puis avait procédé à une lustration pulvérale.

—Mais l’eau est toute proche, lui dit-on!

—J’ai craint de ne pas y parvenir!

Si cette attitude révèle un optimisme modéré à court terme, il n’en reste pas moins que les jurisconsultes, quand ils entendent rapporter de tels propos sur lui, en font des gorges chaudes. Car la lustration pulvérale n’est valable que dans le cas où l’eau manque. C’est une ineptie, lorsqu’il y a de l’eau à proximité, que de se frotter les mains avec du sable. Cependant, il n’est pas nécessaire que l’eau se soit trouvée tout à côté du traditionniste; si même elle avait été distante de plusieurs coudées on aurait pu dire qu’elle était à proximité. L’ablution avec du sable est donc sans effet et n’a, dès lors, aucune valeur.

Quiconque médite ces faits comprend qu’un seul docteur de la loi, même si ses disciples sont peu nombreux, même si, lorsqu’il disparaît, ses partisans ne font plus entendre leur voix, a plus de valeur que des milliers de ces gens auxquels le peuple se frotte pour s’attirer une bénédiction et dont des foules innombrables suivent les dépouilles.

Qu’est-ce donc que l’homme de qualité, sinon quelqu’un qui exerce une influence déterminante, un savant qui comprend le but de la Loi religieuse et s en inspire pour donner des avis. Protégez-nous, mon Seigneur, de l’ignorance et de l’admiration inconditionnelle que l’on porte aux anciens et qui nous pousse à une imitation servile! Quiconque s’abreuve à la source ne peut que trouver des impuretés partout ailleurs

Et l’épreuve la plus grave réside dans les louanges des gens du vulgaire; comme elles égarent! ‘Alî (qu’Allah l’agréé) l’avait bien dit « Le claquement des semelles derrière les sots leur font tout à fait perdre l’esprit. »

Nous avons vu et entendu des gens du peuple chanter les louanges d’un homme en ces termes :

« Il ne dort pas la nuit, ne mange pas le jour,

il n’a pas de rapports avec sa femme

et ne goûte aucun des plaisirs de la vie;

son corps est si maigre et ses os si délicats qu’il fait sa prière assis.

Il est bien supérieur aux savants qui mangent et jouissent! »

Voilà, pour eux, le comble de la science! Mais s’ils avaient appris quelque chose, ils sauraient que si le monde était transformé en une boule, le savant qui ne donne des consultations qu’en se référant à Allah et qui enseigne aux hommes La Loi Divine, n’en ferait qu’une bouchée! Une seule de ses leçons, grâce à laquelle il montre la voie qui mène à Allah, est meilleure et vaut plus que les pratiques de ces dévots pendant toute leur vie. « Un seul faqîh, a déclaré Ibn ‘Abbâs, est plus efficace contre Iblîs que mille dévots. »

Mais ceux qui m’écoutent ici ne doivent pas penser que je veux faire ici l’éloge de gens qui ne mettent pas leur foi en pratique. En vérité, je ne loue que les hommes qui agissent en accord avec leur foi tout en connaissant le mieux leur propre intérêt il y en a qui se trouvent bien dans une vie rude, comme Ibn Hanbal, d’autres aiment une vie délicate, comme Sufyân al-Thawrî - malgré son esprit de scrupule - ou Mâlik - malgré son esprit reli¬gieux - ou Shâfi’ i - malgré l’étendue de son savoir. L’homme ne doit pas se sentir obligé de faire ce que d’autres sont capables de faire et dont lui-même est incapable; lui seul, sait ce qui lui convient. Rabî’ a a dit « Si ton bonheur réside dans le fâlûdhaj tu n’as qu’à en manger! »

Et ne sois pas, lecteur, de ceux qui s’en tiennent aux apparences du renoncement; parfois celui qui vit dans la volupté ne la désire pas, mais il recherche ce qui lui convient le mieux. Tous les corps, en effet, ne supportent pas une existence grossière, surtout ceux qui ont eu à subir des difficultés et que la pensée a épuisés ou la misère éprouvés. En traitant notre âme sans bienveillance, on néglige le devoir qui nous est fait d’être bon pour elle.

C’est là un exposé qui aurait été fort long si je l’avais commenté en citant les traditions et tout ce qui a été rapporté sur la question. Mais je l’ai écrit rapidement, comme il se présentait à mon esprit.

Quant au médecin qui sait ce qu’il mange, il tire profit de tout ce qu’il trouve.


La richesse et la pauvreté

C’est une des ruses les plus dangereuses de Satan. l’un de ses stratagèmes les plus habiles que de circonvenir les gens riches en leur donnant des espérances et en les occupant aux plaisirs qui éloignent de l’au-delà et des œuvres qui permettent de le gagner. Il les attache à l’argent, les poussant à en amasser, les rendant avides d’en posséder et ensuite, il leur suggère de monter bonne garde auprès de lui pour éviter de le perdre.

C’est là une de ses ruses les plus fortes, une défaire de celui qu’il possède. Satan continuera même à le pousser au renoncement, à lui commander le dépouillement, à lui faire fuir les voies du gain en prétextant lui être de bon conseil et lui faire conserver sa foi.

Il y a au fond de tout cela des merveilles de tromperie. Parfois, Satan, empruntant la voix d’un de ces maîtres dont le repentant s’inspire, lui dira « Abandonne tout ce que tu possèdes, et va vivre dans les rangs des ascètes. Tant que tu auras de quoi manger à midi et le soir, tu n’en feras pas partie et tu n’atteindras pas aux degrés de la force d’âme ».

Il lui répète aussi des hadiths qui sont loin d’être authentiques et qui ont été inspirés par une raison secrète et forgés avec une intention précise.

Et, lorsqu’il s’est démuni de ce qu’il possédait, qu’il a abandonné ses sources de revenus, il se retrouve guettant avec convoitise le moindre don de ses frères. Ou bien Satan lui fait alors apprécier la compagnie des potentats car, n’étant pas homme à suivre la voie de l’ascétisme et du dépouillement plus de quelques jours, son naturel revient qui condamne ses aspirations. Il tombe alors dans un état pire encore que celui qu’il avait voulu fuir. Pour atteindre son but, il prostitue sa principale marchandise, c’est-à-dire, sa religion et son honneur, il se met dans la situation de celui qui tend la main et devient une véritable chiffe.

Mais s’il avait médité l’exemple des hommes de qualité, l’exemple des meilleurs d’entre eux, s’il avait examiné les hadiths authentiques qui sont attribués à leurs chefs, il aurait appris qu’al-Khalîl (Ibrahim 'aleyhi salam) était très riche, si riche que ses troupeaux emplissaient la ville. C’était le cas de Loth, de nombreux prophètes et de la plupart des compagnons.

Seulement, ces hommes ont été patients quand ils n’avaient rien et ne se sont pas interdit de gagner ce qui leur était utile, ni de prendre ce que la loi tolérait quand cela se présentait. Ainsi Abû Bakr quittait la Mekke pour faire du commerce du vivant même du Prophète (saluts et bénédictions d'Allah sur lui).

La plupart d’entre eux cédaient au Trésor Public le surplus de leurs ressources et ne subissaient pas l’humiliation d’avoir à recourir à leurs frères. Ainsi, le fils de ‘Umar (qu'Allah les agrées) ne refusait rien et ne mendiait jamais.

Quant à moi, en observant la plupart des gens de religion et de science qui se trouvent dans cette situation que je condamne, j’ai constaté que la science les a tout d’abord empêchés de se consacrer à leur gagne-pain, mais lorsqu’ils ont eu ensuite besoin d’assurer leur existence, ils se sont humiliés alors qu’ils étaient les hommes les plus dignes de considération.

Autrefois, le Trésor Public leur aurait assigné un traitement garanti par l’excédent des revenus de leurs frères. Mais, comme de nos jours, on ne donne plus rien au Trésor Public, un homme pieux ne peut rien obtenir sans livrer une partie de sa foi. Et plaise à Allah encore que cela lui soit possible, car il peut arriver que sa foi soit ruinée sans qu’il ait rien obtenu! C’est donc un devoir pour le sage que de préserver l’argent qu’il possède et de s’appliquer à en gagner le plus possible pour faire l’économie de flatteries adressées au tyran, ou de faux-semblants destinées à l’ignorant.

Il ne doit pas faire cas des fables de ces mystiques qui attribuent tant de mérites à la pauvreté! Celle-ci n’est, en fait, que maladie d’impuissance et celui qui la supporte a la même rétribution que l’homme qui endure la maladie, sauf s’il s’agit d’un lâche qui recule devant l’action et se contente de son morceau de pain quotidien. Toutefois cela n’est pas un des degrés que gravissent les héros mais bien plutôt une de ces situations qui conviennent bien aux ascètes pusillanimes.

Quant à l’homme qui possède un état lucratif, qu’il soit celui qui donne et non celui à qui l'on donne, celui qui fait l'aumône et non celui à qui on la fait!

C’est là agir en homme de mérite et d’œuvre!

Quiconque médite ces lignes, reconnaîtra la dignité de la richesse et le danger que fait courir la pauvreté.

 

Comment l’œil peut-il se fermer puisqu’il a été averti?

Quiconque a réfléchi aux conséquences des choses d’ici-bas prend ses précautions de même que l’homme conscient de la longueur du chemin se prépare au voyage.

Que ta conduite est étrange, ô toi qui connais avec certitude une chose et puis l’oublies, toi qui, convaincu du danger d’une situation, t’y jettes aveuglément, toi qui crains les hommes alors que c’est Allah que tu devrais craindre!

Ton âme réussit à t’imposer ce dont elle n’est même pas sûre, et toi, tu ne peux lui imposer ce dont tu as la certitude! Mais ce qu’il y a de plus d’étrange c’est ta satisfaction à rester égaré et ton insouciance, dans le plaisir, par rapport à ce qui t’a été réservé!

Aveuglé par ta santé, tu oublies l’approche de maladie, fier de ta plénitude tu ne penses pas à l’imminence de la douleur. L’endroit où les autres sont tombés te montre pourtant celui où tu vas tomber toi-même, et la sépulture des autres te révèle pourtant, avant la mort. ce que sera la tienne!

Mais la recherche de tes plaisirs t’empêche de penser à la ruine de ton être.

On croirait que tu ne connais pas l’histoire de ceux qui sont passés et que tu ne vois pas les ravages que le temps fait parmi ceux qui restent.

Si tu ne le savais pas, regarde : voilà leurs demeures Le vent les a effacées dans sa course après toi et voici la tombe.

Que d’hommes en vue voyons-nous descendre au tombeau, qui sont aussitôt décriés! Que de châtelains, quand ils ont été destitués, sont remplacés dans leurs châteaux par leurs propres ennemis! O toi, dont chaque instant à cela conduit et qui agis comme si tu n’avais rien compris, rien appris!

Comment l’œil peut-il se fermer puisqu’il a été averti?


Le recueillement

Il peut arriver, quand on écoute un sermon, que l’on soit pris de ferveur, mais dès que l’on quitte le lieu d’oraison on retrouve indifférence et froideur.

J’ai recherché la cause de ce phénomène et l’ai découverte, et j’ai pu constater que les hommes étaient différents en ce domaine.

D’une manière générale, le cœur ne peut être dans le même état de ferveur pendant l’audition du sermon et après. Pour deux raisons.

La première est que les sermons agissent comme des coups de fouets : la douleur qu’ils provoquent quand ils sont assénés n’est plus aussi cuisante après qu’ils ont cessé.

La seconde est que, durant le sermon, l’homme est affranchi de ses soucis il s’est libéré, en son corps et en on esprit, de l’emprise du monde et, le cœur parfaitement disponible, il écoute. Mais dès qu’il retourne à ses occupations, celles-ci l’accaparent par les tracas qu’elles lui causent.

Et comment, étant donné tous ces tiraillements, pourrait-il rester dans l’état qui était le sien auparavant?

C’est là une condition que connaissent tous les hommes:

Cependant, ceux dont le zèle a été éveillé restent plus ou moins longtemps sous l’effet de ce qu’ils ont entendu. Certains se décident sans hésiter et avancent sans se détourner : si le cheminement de leur nature les freinait dans leur course, ils pousseraient les hauts cris comme Hanzala qui a pu dire de lui-même : « Hanzala  est hypocrite ! »

Il en est d’autres que leur tempérament incline tantôt à l’indifférence et que, tantôt, les sermons qu’ils viennent d’entendre poussent à l’action : ils sont comme l’épi que les vents balancent.

Chez quelques-uns le sermon, comparable à l’eau qui coule sur les rochers, ne laisse que des impressions fugitives.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


TABLE DES MATIERES

Attachez-vous à la piété en toute occasion____________________2
De l'aveuglement des pécheurs_____________________________2
Le véritable croyant ne tombe pas dans les fautes extrêmes_____3
Ah! Si je pouvais atteindre l’âge de Nouh !___________________3
Condamnation de la passion_______________________________5
Les organes de sens______________________________________7
Souvent la tolérance vaut mieux que toutes les intransigeances __8
Entretenir son corps, c’est entretenir sa foi. La science est un remède contre tous les maux_______________________________8
De la confiance en Allah _________________________________10
L'âme est incitatrice au mal______________________________12
Les passions____________________________________________13
La vie conjugale________________________________________15
La convoitise___________________________________________19
L'âme_________________________________________________19
La séduction de l'âme____________________________________20
L'obligation morale_____________________________________21
L'égarement des mystiques_______________________________24
La richesse et la pauvreté________________________________31
Comment l’œil peut-il se fermer puisqu’il a été averti?________33
Le recueillement________________________________________33
Table des matières______________________________________36