Le livre de la Sensibilité et des Pleurs « Kitâb r-Riqqah wa-l-Bukâ »

 Le livre de la Sensibilité et des Pleurs  « Kitâb r-Riqqah wa-l-Bukâ »

Le livre de la Sensibilité et des Pleurs
« Kitâb r-Riqqah wa-l-Bukâ »

 

 

Par l’Imâm Ibn Qudâma al Maqdissi


 

Premier chapitre

 


Wahb Ibn Monabih -qu’Allâh lui fasse Miséricorde-, suivant une chaîne de tradition remontant à l'Imâm Abû al-Hasan -qu’Allâh lui fasse Miséricorde-, a dit :

« Allah Très-Haut dit lorsque Il parla à Moïse -‘aleyhi sallâm- :

Que le lustre de Pharaon et ce dont il jouit ne vous émerveille pas ! N'y jetez pas vos regards. Ce n'est qu'une fleur de la vie d'ici-bas et l'enjolivement des opulents.

Si J'avais voulu vous embellir des ornements de ce monde, Pharaon aurait appris, en les regardant, que l'évaluation de son opulence est trop faible en comparaison avec ce que Je vous accorde. J'aurais alors agi dans ce sens.

Cependant, Je ne désire pas cela pour vous et je vous en éloigne. C'est ainsi que J'agis avec Mes saints. Il y a longtemps que J'ai affaibli en eux ce penchant. Je les protège contre ces délices et son confort, comme le berger compatissant protège son troupeau du pâturage dangereux.

Je les écarte de ces divertissements, comme le berger compatissant éloigne ses chameaux des endroits contaminés par la gale. Je n'agis pas de la sorte parce qu'ils sont sans valeur auprès de Moi, mais plutôt, afin qu'ils prennent la part qui leur revient de Ma générosité complète et comblée, sans que la vie d'ici bas ne la diminue ni les passions ne l'entachent.

Sache qu'en ce monde, Mes adorateurs ne sont pas embellis vis-à-vis de Moi (l'une parure meilleure que le renoncement à ce bas-monde (al-zuhd fi donyâ), car c'est la parure des gens pieux. C'est un vêtement grâce auquel ils connaissent la totale quiétude et le recueillement. Ils ont une marque distinctive sur leurs visages, occasionnée par la prosternation. Ceux-là sont vraiment Mes walis .

Quand tu les rencontres, montre-toi humble avec eux et dompte ton cœur et ta langue devant eux. Sache que celui qui offense un wali ou l'intimide entre en belligérance avec Moi et, prenant l'initiative, il me livre un duel.

Ainsi, il M'oppose sa personne et m'appelle à elle. Quant à Moi, Je suis le plus prompt à secourir Mes saints. Celui qui me combat, pense-t-il qu'il Me rend impuissant ? Ou celui qui se bat en duel contre Moi, croit-il qu'il Me devancera ou Me surpassera ?

Comment pourrait-il le faire alors que c'est Moi leur vengeur en ce monde et dans la vie dernière ? Je leur procure la victoire par Moi-même et Je ne charge personne de cette tâche. »


‘Atâ Ibn Yasâr -qu’Allâh lui fasse Miséricorde-, suivant une chaîne qui remonte à Ahmad -qu’Allâh lui fasse Miséricorde-, a dit : « Moïse -‘aleyhi sallâm- a dit :

"O Seigneur ! Quels sont Tes hommes  ceux que Tu abrites sous l'ombre de Ton Trône ?"

Il -Subhânahu wa ta‘âlâ- dit :

"Ce sont ceux dont les mains sont innocentes et dont les coeurs sont purs, ceux qui s'aiment mutuellement en Ma majesté, ceux qui, lorsque Je suis mentionné, Ma mention ramène leur mention. Et quand ils sont mentionnés leur mention ramène à Ma mention.

Ceux qui renforcent (yusbighûna) leurs ablutions pour le moindre makrûh, ceux qui se réfugient dans mon invocation, de la même manière que les aigles se réfugient dans leur tanière (nid), ceux qui s'impliquent entièrement dans Mon amour, de la même manière que l'enfant s'assume entièrement dans l'amour des gens, qui manifestent leur colère quand Mes interdits sont rendus licites, de la même manière que le tigre s'exaspère quand il est attaqué." »


Ghawth Ibn Jâbir -qu’Allâh lui fasse Miséricorde- a dit :

« Les apôtres ont dit :

"Ô ‘Issâ (Jésus) ! Quels sont les Awaliya' de Dieu qui n'auront rien à craindre de Lui et ne seront point affligés ?"

‘Issâ -‘aleyhi sallâm- a dit :

"Ceux qui contemplent la réalité intérieure du monde présent au moment où les gens observent son aspect extérieur, ceux qui envisagent l'avenir après la vie dans ce monde au moment où les gens ne font que scruter l'immédiat ; ils ont tué de cette vie ce qui risque de les tuer (ils ont coupé de ce monde ce qui risque de les couper de Allah).

Ce sont ceux qui ont renoncé aux choses quand ils ont su que ces choses les abandonneraient un jour, ainsi au lieu d'en amasser, ils s'en libèrent, sans regret. Ils savent que leur manifestation conduit au trépas et que la joie qu'ils y trouvent n'est qu'affliction. Ils refusent ce qui contrecarre ce qu'ils escomptent recevoir et rejettent ce qui, sans raison, s'oppose à sa sublimité.

Le monde, devant eux, s'est vidé (d'autres que Allah) ils ne cherchent pas à le remplir. Leurs convoitises meurent dans leurs poitrines sans chercher à les faire renaître. Leurs maisons tombent en ruine sans vouloir les peupler ; bien au contraire, ils les démolissent et, avec leurs matériaux, ils bâtissent leur vie dernière. Puis, ils les vendent pour acheter ce qui leur subsistera éternellement. Ils dédaignent ce monde et, à travers ce refus, ils se montrent enchantés.

Ils regardent ses habitants abasourdis, marqués par les signes du châtiment. Aussi, vivifient-ils le souvenir de la mort et font rendre l'âme à la vie. Ils aiment Allah Puissant et Grand, chérissent Son rappel, recherchent Sa lumière et s'y illuminent.

Ils s'attribuent la merveilleuse nouvelle mise à leur disposition. C'est par eux que le Livre se dresse et avec lui ils s'élèvent. C'est avec eux que le Livre s'exprime et par lui ils s'extériorisent. C'est le Livre qui les instruit et c'est par lui qu'ils enseignent. Ils ne perçoivent pas une sécurité sans l'espérer, ni une crainte dans les efforts qu'ils fournissent." »


Abû Bakr Ibn ‘Ayyâsh -qu’Allâh lui fasse Miséricorde-, selon Idris Ibn Wahb -qu’Allâh lui fasse Miséricorde- qui le tient de son père -qu’Allâh lui fasse Miséricorde-, a dit ceci :

« Ibn ‘Abbâs -qu’Allâh l’agrée- a été informé que des gens se querellaient devant la porte des Banû Sahm à propos du qadar (la destinée). Il remit son bâton crochu à ‘Ikrima -qu’Allâh l’agrée- et posa une de ses mains sur moi et l'autre sur Tâwous -qu’Allâh l’agrée-.

Lorsqu'il rejoignit ces gens, ceux-ci lui firent place et l'accueillirent avec cordialité. Sans prendre la peine de s'asseoir, il dit :

"Ne savez-vous pas qu'à Allah appartiennent des adorateurs que la crainte réduit au silence sans qu'ils soient pour autant muets ou incapables de parler de manière intelligible ?

Ce sont pourtant des savants d'une grande éloquence, loquaces et nobles qui connaissent les Jours de Dieu mais, quand ils se remémorent la Grandeur d’Allah, ils perdent la tête, leurs coeurs se brisent et leurs langues cessent de parler. Lorsqu'ils reprennent connaissance de leur état, ils, courent de vitesse vers Allah le Puissant, le Grand en s'acquittant d'œuvres empreintes de pureté." »


Dans une autre version, il est dit :

« Ils se comptent au nombre de gens infiniment petits et négligents alors qu'ils sont à la fois d'une fine intelligence et vigoureux. Ils se comptent au nombre de gens fautifs et injustes bien que l'honnêteté et l'innocence les caractérisent.

Pour certains même, beaucoup d'œuvres de piétée n'est jamais assez, et ils ne sont pas satisfaits de peu. Seule la publication de leurs œuvres les définit. Quand tu les rencontres, tu les vois préoccupés par leurs devoirs, compatissants, timides et craintifs. »

À la suite de quoi, Ibn ‘Abbas -qu’Allâh l’agrée- les quitta et retourna vers l'endroit où il se trouvait précédemment.


Le cheikh Abû Muhammad ‘Abd Allah, selon une chaîne remontant à ‘Ali Ibn Abî Tâlib -qu’Allâh l’agrée-, a dit :

« Instruisez-vous et ainsi vous acquerrez des connaissances. Mettez en pratique ce que vous apprenez et vous compterez alors au nombre des hommes de science. Après vous, il arrivera un temps où les neuf dixièmes de la vérité seront méconnus.

Ne sera sauvé que celui qui désavoue le mal, racine de tous les syndromes, ainsi que ses auteurs. Ceux-là sont les imams (guides) de la guidance et les luminaires de la science. Ils ne sont point de ceux qui, en entendant une chose de quelqu'un ou la voyant en lui, sont prompts à la colporter. »


Puis il -qu’Allâh l’agrée- dit :

« Le monde présent déménage en tournant le dos, tandis que la vie dernière approche. Chacun des deux possède sa progéniture. Soyez donc parmi la descendance de la vie dernière et ne soyez pas de celle du monde actuel. Certes, les ascètes en ce monde ont fait de son sol un tapis, de sa terre une literie et de son eau un délice.

Que celui qui aspire ardemment au Paradis se console des désirs de ce bas monde. Et que celui qui craint d'être terrassé par l'Enfer se détourne des interdits. C'est que les malheurs s'allègent pour celui qui fait preuve d'abstinence en ce monde.

À Allah appartiennent des adorateurs comme celui qui aperçoit les hôtes du Paradis y vivre éternellement et ceux de l'Enfer y être châtiés. Ils sont à l'abri de leurs méchancetés, leurs coeurs affligés, leurs âmes vertueuses et le poids de leurs oeuvres allégé. Ils ont fait preuve de patience un court moment, suivi d'un long repos.

La nuit, leurs larmes coulent sur leurs joues, invoquant leur Seigneur : "Notre Seigneur ! Notre Seigneur !" Ils demandent à être débarrassés de leurs jougs. Quant au jour, ce sont de sages savants ressemblant à des bourgeons de fleurs.

Celui qui les regarde se dit : "Ce sont des malades ! Quelle est la maladie qui a atteint ces gens ? Ils sont confondus." C'est que les gens se sont confondus dans une affaire énorme. »


Abû Arâka -qu’Allâh lui fasse Miséricorde-, suivant une chaîne de transmission remontant à Abû Tâlib al-Mubâtik Ibn ‘Ali -qu’Allâh lui fasse Miséricorde-, a dit :

« J'ai effectué la prière du fajr (l'aube) en compagnie de 'Ali Ibn Tâlib -qu’Allâh l’agrée-. Après les salutations finales, il se tourna vers la droite et se figea comme s'il était gagné par la mélancolie. Il demeura ainsi jusqu'au moment où le soleil n'était plus qu'à une distance de la longueur d'une lance du mur de la mosquée. Puis, il tourna sa main et dit :

« Par Allah ! J'ai vu les Compagnons de Muhammad -sallâ l-Lahû ‘aleyhi wa sallâm- et n'ai pas vu aujourd'hui quelque chose de plus ressemblant à eux.

Ils se levaient le matin, les cheveux ébouriffés, le visage pâle et les yeux embrouillés. Ils ressemblaient à un troupeau de chèvres. Ceci parce qu'ils avaient passé la nuit en Dieu, se prosternant et se relevant.

Ils lisaient le Livre d’Allah le Puissant, le Grand. Tantôt, ils posaient leurs fronts à même le sol, et tantôt, ils se tenaient sur leurs pieds. En se réveillant, ils mentionnaient Dieu Puisant et Grand.

Ils oscillaient comme l'arbre ondule au moment des semences. Des larmes coulaient de leurs yeux abondamment au point de tremper leurs vêtements.

Par Allah ! C'est comme si ces gens s'étaient levés le matin après avoir passé la nuit complètement étourdis. Je n'ai pas vu quelqu'un d'aussi souriant rire avant d'être battu par Ibn Maljam, le pervers ennemi d’Allah. »

 

Ahmad Ibn Abî al-Hawâri -qu’Allâh lui fasse Miséricorde-, suivant une chaîne qui remonte à ‘Ali Abû Tâlib -qu’Allâh l’agrée-, a dit :

« J'ai rendu un jour visite à Abû Sulaymân ad-Dârânî. Je l'ai trouvé en larmes. Je lui ai demandé :

"Pourquoi pleures-tu ?"

Il me répondit :

"Ô Ahmad ! Quand la nuit couvre de son obscurité les gens attachés par l'amitié, ils s'étendent sur leurs lits, les larmes coulant sur leurs joues. Le Majestueux se manifeste et appelle :

'Ô Gabriel ! J'ai connaissance de ceux qui, avec Ma parole, me qualifient avec délectation et conversent intimement avec Moi en toute confiance.

J'entends leur désir ardent et Je vois leurs pleurs. Interpelle-les et dis-leur :

Pourquoi ces signes d'impatience que Je vois sur vous ? Un informateur vous a-t-il annoncé qu'un ami maltraite ses amis ou bien Me montre-t-il Bienveillant et Constant avec eux ?

Devant les épreuves, Je les trouve tout disposés pour Moi. Et quand l'obscurité de la nuit les couvre, ils se trouvent encore en Ma présence.

Par Moi, j'ai juré que, pour eux, J'établirai Ma guidance.

Certes, quand ils viendront le Jour de la résurrection, Je découvrirai Mon visage généreux pour eux. Je les regarderai et ils Me regarderont." »


Al-Hasan -qu’Allâh lui fasse Miséricorde-, suivant une chaîne qui remonte à Abû al-Fath Muhammad Ibn ‘Abd al-Bâqî -qu’Allâh lui fasse Miséricorde-, a dit :

« Le croyant est garant de lui-même et, pour Dieu, il demande des comptes à son âme. Le Jour de la résurrection, la reddition des comptes sera pénible pour ceux qui, dans cette affaire, n'auront pas pris en considération leur examen de conscience.

Quand une chose se manifestera à l'improviste au croyant et que cette chose lui plaira, il dira : "Par Allah ! Je te désire car tu fais partie de mes besoins. Cependant, par Allah, aucun lien ne me rattache à toi."

Aussi s'en désintéresse-t-il quelque peu et dit : "Je n'ai pas voulu cela pour moi. C'est pourquoi, par Allah, je ne m'y laisserai pas tromper. Par Allah, je n'y succomberai jamais, si Allah le veut."

C'est que les croyants appartiennent à cette catégorie de gens dont le Coran freine les élans et s'interpose entre eux et leur perdition.

Le croyant est un captif en ce monde. Il s'efforce de se libérer de son joug. Il ne croit en une chose que lorsque, rencontrant Dieu, il sait que tout ce qu'il entend, voit, prononce et réalise de ses membres, lui sera incombé. »


Al-Hasan -qu’Allâh lui fasse Miséricorde- avait pour habitude de dire :

« En ce monde, le croyant est comme un étranger. Les humiliations, qui en résultent, ne le désolent pas. Il ne discute pas les honneurs que ce monde procure à ses habitants. C'est que les gens vivent dans un certain état.

Quant à lui, il en connaît un autre. Il ne se préoccupe que de lui-même. Les gens sont à l'aise avec lui. Et son âme demeure tenace à l'égard de lui-même.

Par Allah ! J'ai vu des gens qui, en ce que Dieu leur a rendu licite, étaient plus ascétiques que vous à propos de ce que Dieu vous a interdit. En leurs coeurs, ils étaient plus clairvoyants en matière de religion que votre discernement.

La crainte que leurs bonnes oeuvres se retournent contre eux était plus grande que celle du châtiment que vos mauvais actes entraîneraient pour vous. Lorsque la nuit les couvrait de son obscurité, (ils s'adonnaient à la prière et, à cet effet) ils se dressaient sur les extrémités de leurs pieds, puis s'allongeaient, leurs faces à même le sol.

Leurs larmes coulant sur leurs joues, ils s'adressaient intimement à leur Seigneur afin qu'Il les libère de leur joug. »


Il a dit -qu’Allâh lui fasse Miséricorde- :

« Je jure par Celui dont mon âme est entre les mains qu'un serviteur ne prétendra croire en l'Heure que s'il fond en larmes ou s'éreinte ou se fane ou s'afflige ou encore se sente à l'étroit sur la terre en dépit de son étendue. »


Il -qu’Allâh lui fasse Miséricorde- a dit :

« Qu’Allah ait en Sa miséricorde le serviteur qui se suffit d'une seule manière de vivre et, de ce fait, mange une tranche de pain, se vêt d'un vêtement râpé, adhère son corps à la terre, déploie des efforts dans l'adoration d’Allah, pleure le péché, fuit le châtiment et désire la Miséricorde d’Allah, en restant ainsi, jusqu'à la mort. »


Al-Hasan -qu’Allâh lui fasse Miséricorde-, suivant une chaîne de garants remontant à Abû Muhammad ‘Abd Allah -qu’Allâh lui fasse Miséricorde-, a dit :

« Les lecteurs du Coran sont de trois sortes : il y a l'homme qui considère que le Livre est une marchandise qu'il transporte d'une province à une autre et, par ce biais, quémande ce que les gens possèdent. Il y a des gens qui ont lu le Coran et en ont appris par coeur les lettres mais ils en ont perdu les limites. Ils en font un commerce auprès des gouvernants, mais font preuve d'arrogance vis-à-vis des habitants de leur pays. Les gens de cette espèce sont nombreux parmi les porteurs du Coran. »


Al-Hasan -qu’Allâh lui fasse Miséricorde- poursuit :

« Que Dieu n'en augmente pas le nombre ! Il y a enfin l'homme qui lit le Coran. Il commence par s'instruire du remède procuré par le Coran et le prescrit au mal dont souffre son coeur. Il passe ses nuits en veille. Ses yeux se baignent de larmes. Il est de ceux qui s'enveloppent de tristesse, se vêtent de crainte, séjournent longtemps dans leurs niches de prière et se ploient dans leurs manteaux (burnous). C'est par eux que Allah déverse une pluie abondante, fait descendre le triomphe et repousse la calamité. Par Allah ! Cette catégorie de porteurs du Coran est plus rare que la pierre philosophale. »